Dans sa forme actuelle, la démocratie est cyniquement hypocrite. Il n’y a là rien de nouveau. Je relisais cette nuit un ouvrage paru en 1848 et intitulé : Politique à l’usage du peuple. Triomphe définitif de la démocratie Son auteur, Joanny Bonnetain, était un ardent démocrate, dans le sens moderne du terme. Il lançait : “La Démocratie est la plus belle forme de la société. Elle donne à contempler le règne de la liberté et de l’égalité. Elle est définitive, car elle est la réalisation complète des devoirs et des droits” (p. 100).
Parmi les 30 conditions qu’il énonçait pour qu’un régime soit démocratique, la quinzième était celle-ci : “la liberté de la presse, moyen puissant de circulation d’idées, de vie politique, de discussion libre” (p. 71).
Plus loin, il renchérissait : “Quoi de plus démocratique que la liberté de la presse ? C’est un moyen de civilisation, d’éducation sociale et la manifestation individuelle et collective de la liberté de penser et d’écrire.” (p. 107)
L’auteur défendait la liberté de la presse au nom de la liberté politique : “Chaque homme doué d’intelligence, de liberté et de raison a le droit d’exercer sa liberté politique, parce que chaque individu a la capacité de concevoir et de choisir.” (p. 72)
Seulement, choisir quoi ? Si la démocratie devait être la forme définitive de la société, alors il n’y avait pas à choisir…
L’auteur ne s’en cachait pas. Après avoir expliqué pourquoi la France était désormais “une démocratie, sans bourgeoisie, sans aristocratie”, il ajoutait :
« Et vous n’êtes pas libres de divaguer, d’aller chercher les preuves du contraire en Chine ou en Sibérie ; […] vous ne pouvez pas envisager la société sous d’autres points de vue. Donc vous entrerez dans ce champ-clos, dans ce cercle dont vous ne sortirez pas sans être de notre avis ; ou bien si vous restez en dehors, vous n’êtes rien en politique, en science; vous n’êtes qu’un tas de rêveurs, ne connaissant pas la société, rêvant des formes pour la société, des formes pour le pouvoir, sans parvenir à les définir, ni à les énoncer ; rêvant un monde dans votre cerveau, un monde à venir, ou un monde passé, l’un qui n’a point de corps, l’autre qui n’est qu’un fantôme ; en dehors de là point de science , point de politique, point de connaissance de la société. » (pp. 50-51)
On trouvait ici toute l’intolérance et toute l’hypocrisie démocratiques exposées au grand jour : si vous n’êtes pas démocrates, alors nous vous rejetons hors du Système et nous vous comptons pour rien.
Fort bien. Mais alors, à quoi bon la liberté de la presse ? Car si certaines idées sont chimériques, pourquoi laisser à certains le droit de les exprimées ? Tout ce qu’elles peuvent faire, c’est du mal… Or, une société ne saurait laisser libres ceux qui veulent lui faire de mal. En conséquence, il faut restreindre la liberté de la presse. 170 ans après la publication de cette ouvrage, nous y sommes. En plein. La restriction des libertés n’est donc pas un accident de la démocratie, c’en est une conséquence logique.
Mais un régime si hypocrite ne peut que s’effondrer, miné par ses contradictions. Dans sa confiance aveugle au peuple, Joanny Bonnetain déclarait : “demandez à l’universalité des citoyens français : voulez-vous conserver votre patrie et la faire prospérer ? voulez-vous conserver la religion, les beaux-arts, les sciences, le droit, l’industrie ? voulez-vous conserver la presse, le jury, l’enseignement, l’ordre judiciaire, l’institution de la garde nationale, de l’armée, et toutes vos libertés publiques et l’égalité civile et politique, et l’inviolabilité du mariage et de la propriété ? répondez… et la masse des électeurs se montrera conservatrice.” (p. 78)
J’aimerais que l’auteur de ces lignes revienne aujourd’hui : il verrait ce que sont devenus la religion, la liberté de la presse, l’École, la Justice, le respect pour l’autorité, l’armée, l’inviolabilité du mariage…
Quant à la souveraineté nationale, il écrivait : “Il n’y a point d’autorité, point de souveraineté en dehors de la nation. Tout pouvoir qui se constitue en dehors de la souveraineté nationale est illégitime et tend à asservir la société.” (p. 100).
Si l’auteur de ces lignes revenait, je lui conseillerais d’aller faire un tour au Parlement européen. Je crois que le pauvre en reviendrait avec la hâte de retourner dans sa tombe.
Avant, toutefois, qu’il ne retourne en poussière, je lui dirais qu’en plein XXe siècle, un grand homme tenta de changer tout cela. C’était en Allemagne, entre 1933 et 1945. Cet homme s’appelait Adolf Hitler. Je conseillerais à Joanny Bonnetain d’aller le rencontrer, Là-Haut…