Une morte-vivante raconte les bombardements alliés

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L’article ci-dessous est paru le 27 octobre 1943 dans le quotidien Paris Soir. Avec deux de ses filles, la femme avait subi le raid sur Paris et sa banlieue, le 15 septembre, par l’aviation anglo-américaine.

Un bombardement au bilan tragique : 260 victimes enterrées quatre jours plus tard.

Découvertes à l’état de cadavres ou proches du dernier soupir, ces victimes ne pouvaient jamais raconter leur histoire. Or, grâce à sa fille, cette femme en avait réchappé. Aussi avait-elle pu raconter l’horreur vécue :

C’était le 15 septembre (…). L’alerte ayant été donnée vers 19 h 20. (…) J’avais avec moi Pierrette [10 ans] et Chantal, ma dernière, qui a 14 mois. Vers 20 heures avec des voisines, nous sommes descendues à la cave – pour la première fois – parce que des bombes tombaient dans le quartier. Nous nous y sommes retrouvés une trentaine de personnes environ. Tout à coup, un bruit infernal… les murs s’écroulent… On reçoit sur le corps, des pierres, de la terre, de la poussière… L’obscurité était absolue. Des hommes, des femmes poussaient des cris horribles, on aurait cru des chiens hurlant à la mort… J’étais penchée sur le bébé pour essayer de le préserver ; à côté de moi se trouvaient Pierrette et deux voisines. Les projectiles pleuvaient de tous côtés… J’étais coincée entre deux pans de murs ; impossible de bouger… On avait l’impression d’être emmuré… Et toujours la nuit… Bientôt, une odeur acre nous prit à la gorge. Une odeur d’ammoniaque, dégagée par la bombe, et puis, la poussière qui volait… « — Maman ! Ça sent le gaz ! » Pierrette avait malheureusement raison, le gaz fuyait, tous tuyaux crevés… Les conduites étaient coupées, éclatées, et l’odeur était de plus en plus forte. « — Même si on nous trouve, Chantal ne supportera pas ça. Ne t’affole pas, maman, je vais aller voir ; il faut qu’on sorte d’ici ! » La courageuse gamine, magnifique de sang-froid et de décision, exhorte encore une fois au calme sa mère et ses voisines, puis, se dégageant des décombres, part dans la nuit. (…) — Combien de temps cela dura-t-il ? Je n’en sais rien. Soudain, nous entendîmes crier : « J’ai trouvé un escalier… J’ai trouvé une issue… » La. voix était joyeuse… Cela nous a secoués, nous nous sommes libérés comme nous l’avons pu et, guidés par les cris de Pierrette, nous nous sommes dirigés vers elle. L’issue était assez éloignée. Enfin, nous sommes sortis. Nous avions tout de même subi un commencement d’asphyxie… Les pompiers arrivaient. Sans Pierrette, nous au raient-ils trouvés à temps ? Peut-être. Le bébé, en tout cas, n’aurait certainement pas résisté… »

Ces gens furent donc sauvés grâce au remarquable sang-froid de la petite fille et aussi parce qu’une issue accessible s’offrait. Seulement, pense-t-on à tous ces victimes qui, elles, ne trouvèrent aucune issue ? Emmurés vivantes, certaines périrent à petit feu…

J’exagère ? Pas du tout. Dans son livre témoignage, un sauveteur de la ville de Caen évoque ces civils « asphyxiés sous les décombres ». Il cite un testament retrouvé dans une cave :

Ce document est terrifiant : le père est enseveli dans l’abri avec sa famille. Il note ses impressions au fur et à mesure que l’air se raréfie dans la cave : « Nous étouffons… Ma femme se meurt… Les tempes me bourdonnent… Je sens que c’est bientôt la fin… Je dois… francs à M. X. Je prie celui qui trouvera ce papier d’acquitter ma dette c’est fini… J’étouffe »…

Il en va de même avec ces nourrissons. Loin d’être des victimes de la « barbarie nazie », il s’agit au contraire de bébés retirés des décombres d’un hospice pour enfants trouvés, en Italie. Le bâtiment avait été détruit lors d’un raid aérien en juin 1943 par l’aviation anglo-américaine.

Les vainqueurs de 1945 n’avaient donc pas le choix : ils devaient faire oublier leurs crimes. Voilà pourquoi à partir d’avril 1945, ils s’empressèrent d’exploiter les terribles spectacles découverts dans les camps.

Un journaliste américaine qui visita l’Allemagne juste après la défaite rapporte : « Un très grand universitaire américain que je rencontrai à Heidelberg exprima cette opinion que les autorités militaires américaines, lorsqu’elle pénétrèrent en Allemagne et virent les effroyables destructions causées par notre obliteration bombing, furent épouvantée en comprenant que cette révélation pouvait causer un retournement de l’opinion aux États-Unis et pouvait empêcher qu’on appliquât à l’Allemagne le traitement que l’on avait prévu, en éveillant la sympathie pour les vaincus et en dévoilant nos crimes de guerre. Ce fut, croit-il, la raison pour laquelle le général Eisenhower mit instantanément une flotte aérienne tout entière à la disposition des journalistes, des congressmen et des gens d’église pour leur faire voir les camps de concentration ; son intention était que le spectacle des victimes de Hitler effaçât notre sentiment de culpabilité. Il est certain qu’on réussit cette opération. Pas un grand journal américain jusqu’à présent n’a décrit les conditions épouvantables dans lesquelles vivaient les survivants dans leurs ruines truffées de cadavres. Les lecteurs américains ont été gavés au contraire des seules atrocités allemandes. »

Cette photo, prise à Bergen-Belsen, montrait des enfants victimes du typhus dans les dernières semaines de la guerre.

Les autres clichés du même type montraient le même spectacle, un spectacle dû aux conditions d’apocalypse qui régnaient en Allemagne au premier semestre 1945.

D’ailleurs, les déportés épargnés par la maladie furent découverts en bonne santé… Preuve qu’aucune politique systématique d’extermination n’existait.

Mais présentés hors contexte, les images des morts squelettiques permirent d’accréditer la thèse de la « barbarie nazie » et de faire oublier les victimes des bombes anglo-américaines. A ce propos, j’en reviens au testament découvert à Caen, dans la cave d’une maison détruite en juin 1944 au cours d’un bombardement anglo-américain. Lors de mes enquêtes en Normandie, j’ai voulu retrouver ce document terrible, symbole de la tragédie vécue par les populations civiles victimes des bombardement alliés. J’ai demandé aux mairies, aux archives, aux musées… En vain. Tout le monde en ignorait l’existence et personne n’a pu me donner le moindre renseignement. Ce n’est pas comme journal d’Anne Frank, qui fait fait l’objet de multiples éditions dans de nombreuses langues et qui a été adapté au cinéma ainsi qu’au théâtre…

Preuve que tous les morts ne se valent pas, une inégalité que certains dénoncent par la caricature.

Ce genre de dessin peut choquer : mais si on veut l’éviter, alors il faut non seulement cesser de privilégier une Mémoire décidément bien sélective, mais aussi remettre les faits dans leur contexte. L’histoire, la vraie, reste donc à écrire.