Pour qu’une nouvelle Jeanne sauve la France

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Rivarol du 21 juin 2023 publie un dessin d’homme qui confie à Jeanne d’Arc représentée sous la forme d’une statue: « Nous aurions tellement besoin de vous. » C’est incontestable. Dès lors, pourquoi aucune héroïne ne se lève-t-elle pour sauver la France?

La réponse a été apportée deux semaines plus tôt, toujours dans Rivarol, par François-Xavier Rochette. Il souligne que le Rassemblement national « ne représente même plus le rêve d’un changement que n’imagine plus le peuple. Nous assistons, avec Marine Le Pen […] à la décivilisation à son stade final, lorsque même la possibilité d’un renouveau a disparu des esprits. »

Ce constat exact explique pourquoi, en 2023, aucun héros ne surgit pour sauver la France: elle se heurterait à une foule de gens qui, rejetant son combat ou n’y croyant plus, refuseraient de s’engager à ses côtés.

On implore en vain l’aide du Ciel si ceux pour lesquels on l’adjure se montrent indignes d’être secourus.

Les uns — majoritaire — lui lanceraient: « Lutter pour une résurrection nationale? C’est du pétainisme! Allez au diable! »

Les autres soupireraient: « Rebâtir la France? Oui, bien sûr… Mais, voyiez-vous, j’ai une situation à préserver, un crédit immobilier à rembourser, les études de mes enfants à financer, des biens à protéger… Je ne veux donc aucun problème avec mon patron, la police ou la justice. » Ces derniers se contenteront de glisser un bulletin de vote RN dans l’urne.

Une nouvelle Jeanne se retrouverait à la tête d’une troupe squelettique, composée en majorité de bras cassé, difficile à mener, donc facile à écraser. Une fois vaincue, des centaines de messeigneurs Cauchon se présenteraient pour la condamner.

Voilà pourquoi, malgré les prières et les supplications, la Providence ne suscite aucun héros. On implore en vain l’aide du Ciel si ceux pour lesquels on l’adjure se montrent indignes d’être secourus.

La Franc-Maçonnerie: un catalyseur, non une cause

Je sais que mes analyses déplaisent à beaucoup. On me reproche de blâmer le peuple alors qu’il serait la victime innocente de forces obscures liguées au sein de la Franc-Maçonnerie et d’autres groupements antinationaux. Cette image des masses influencées à leur insu est largement partagée.

Dernier exemple en date: dans son éditorial du 21 juin, Jérôme Bourbon déclare que le projet de loi sur l’euthanasie était « voulue depuis longtemps par les loges maçonniques, déjà en pointe dans la dépénalisation de l’avortement […] l’adoption du Pacte civil de solidarité (Pacs) et du “mariage” homosexuel. »

Il ajoute: « [les francs-maçons] savent parfaitement ce qu’ils font. Il s’agit là encore de bouleverser les mœurs et les mentalités. Car contrairement à ce que l’on croit souvent, la loi modifie les comportements, a des effets non négligeables sur le corps social. Par exemple, il n’y a jamais eu autant d’avortement que depuis que cette pratique a été légalisée puis remboursée. Et pourrait-on en dire de même du divorce, de la contraception, de l’homosexualité, des unions contre nature. »

Ces quelques lignes véhiculent l’image d’un peuple manipulé par la Franc-Maçonnerie qui promeut des lois afin d’orienter les comportements. On m’objectera que les statistiques confirment cette vision. J’en conviens, mais cette analyse doit être complétée, faute de quoi l’essentiel passera inaperçu.

Ayant étudié en profondeur le problème du divorce, de la contraception et de l’avortement, j’affirme qu’une loi ne sort pas ex nihilo d’une loge maçonnique, mais découle d’une pression sociale manifestée par un comportement de plus en plus répandu au sein du peuple. Certes, une fois la loi votée et la barrière légale renversée, le comportement se banalise et gagne toute la société, et l’on peut croire alors que c’est la loi qui a modifié les comportements. Toutefois, en réalité, le changement était antérieur.

Le cas de la loi sur le divorce

Considérons le problème du divorce. La loi de 1884, soutenue par Alfred Naquet, fut promulguée alors que depuis une trentaine d’années, le nombre des séparations de corps avait explosé. Les gens ne pouvant se remarier (même civilement), le concubinage s’était répandu, ce qui posait de nombreux problèmes, parmi lesquels la situation des enfants nés hors mariage.

De nombreux cas dramatiques se présentaient. Afin de remédier à ces situations douloureuses, le législateur choisit (à tort ou à raison, peu importe ici) de commencer par autoriser le divorce. Le reste suivrait. D’où le vote de la loi avec majorité confortable.

Dans cette affaire, je ne conteste pas l’action maçonnique, mais j’affirme qu’elle fut couronnée de succès seulement parce que depuis les années 1850, le mariage subissait une crise toujours plus étendue.

Avant la loi, cette crise restait moins visible; après, elle apparut au grand jour, les Français pouvant recourir au divorce. Cependant, si la loi amplifia le mouvement, elle ne le créa pas: depuis une trentaine d’années déjà, le divorce était « dans l’air du temps ». Pourquoi? J’y viendrai plus loin.

Les loges maçonniques ne sont pas à l’origine de la décadence, mais ne font que canaliser et formuler des aspirations populaires nées hors d’elles.

Le cas de la loi sur l’avortement

Le drame de l’avortement est encore plus flagrant. À la veille de la loi Veil, en France, on estimait à 55 000 le nombre minimum d’avortements chaque année. Cela représente 150 avortements par jour, soit un toutes les neufs minutes. Le phénomène posait de nombreux problèmes graves, à commencer par les accidents qui menaçaient la vie des femmes, dont beaucoup étaient mères de famille.

À ce sujet, je conseille la lecture des mémoires de Margaret Sanger, présentée comme l’apôtre de la contraception et de la régulation des naissances. L’ampleur du phénomène et la gravité des problèmes posés rendaient la pression sociale très forte.

J’ajoute que l’affaire ne datait pas d’hier. Voilà une quinzaine d’années, j’ai visité les égouts de Paris avec mes enfants. Au terme du parcours, le guide posa cette question: « Une loi a considérablement facilité le travail des égoutiers. Laquelle? » Personne n’ayant dévié, il répondit: « la loi Veil. Avant, il fallait quotidiennement récupérer tous les fœtus qui flottaient. »

En 1901 ou 1902, l’organe satyrique l’Assiette au beurre avait publié un dessin révélateur: une bourgeoise chuchotait à une autre: « regarde la Marie: encore enceinte. On dirait qu’elle ne connaît pas le tout-à-l’égout. »

Le phénomène était alors si répandu que des avorteuses publiaient des annonces dans la presse. Elles se présentaient comme des spécialistes de « problèmes féminins ». Certains encarts précisaient: « prés de la gare » ou « près des grands magasins ». Ce qui signifiait: « Madame qui venez de la province, à votre descente du train, vous serez tout près de chez moi, donc vous pourrez repartir le jour même, une fois l’opération pratiquée, ce qui fera passer votre absence inaperçue. » Ou bien: « Madame, avant ou après l’intervention, vous pourrez acheter un article dans un grand magasin, ce qui vous procurera un alibi. » Dans les années 1880, un ouvrage était paru, afin d’aider les médecins à déceler les « fausses-couches provoquées ».

À l’aube des années 1970 ainsi, l’avortement était très répandu depuis près d’un siècle. L’affaire de Bobigny ne fut que l’étincelle fatale. Certes, après la promulgation de la loi Veil, le nombre d’avortements augmenta jusqu’à quadrupler. Toutefois, ce n’est pas la loi qui modifia le comportement; elle ne fit qu’amplifier un phénomène déjà bien ancré et qui posait de nombreux problèmes graves.

L’étude minutieuse de ces affaires m’a amené à la conclusion que les loges maçonniques ne sont pas à l’origine de la décadence, mais ne font que canaliser et formuler des aspirations populaires nées hors d’elles.

La véritable origine de la décadence

L’origine de la décadence est la vision matérialiste de l’humain qui s’est imposée progressivement à partir du XVIIe siècle, avec l’essor des sciences de l’observation. L’ayant déjà expliqué ailleurs, je n’y reviendrai pas. Je me contenterai de citer Denis Marquet (qui n’est pas un ami politique):

À partir du XVIIe siècle, une forme d’intelligence (très ancienne) a entrepris de dominer la pensée occidentale: l’intelligence logique. En deux siècles, les succès de la science lui ont assuré une victoire totale. L’intelligence logique occupant seule le terrain de la pensée, on a considéré qu’elle seule était rationnelle. C’est ainsi que l’on a perdu une autre forme d’intelligence, tout aussi rationnelle. Bien que fonctionnant différemment — l’intelligence symbolique.

Or, ces deux intelligences n’ont pas le même objet. L’intelligence logique porte sur des faits qui se déroulent dans le temps et à l’extérieur de nous. Notre culture s’est spécialisée dans cet ordre de fait et est devenue très performante pour les gérer. En témoigne la puissance technologique de l’homme contemporain.

L’intelligence symbolique, elle, porte sur un ordre de réalité qui passe à l’intérieur de nous et qui est toujours actuel. Car il concerne le simple fait de notre existence, et toutes les questions liées au fait que nous existons. Le champ de l’intelligence symbolique est la dimension existentielle.

Denis Marquet, Osez désirer tout : la véritable philosophie du Christ (Paris: J’ai lu, 2022), p. 89-90

L’auteur explique que le triomphe de l’intelligence logique, sur fond d’essor des sciences de la nature, a provoqué un recul de la spiritualité (manifestée alors par l’Église catholique). Ainsi, l’Homme a remplacé Dieu pour devenir le créateur de toutes choses:

plus nous nous enfonçons dans les profondeurs de la postmodernité, plus grandit la revendication d’être à l’origine de tout; on ne supporte plus de ne pas avoir le choix. À présent, ce sont les limites organiques que l’on veut repousser: l’individu récuse son âge et aspire désormais à choisir son genre… Le refus de vieillir, comme celui de son sexe natal, montre que la prétention de l’homme d’aujourd’hui à occuper la position d’origine, nourrie par le progrès de la technoscience, ne laisse rien en dehors d’elle — pas même le corps […] le transhumanisme veut désormais abolir jusqu’à la mort elle-même. Si cette chimère venait à s’accomplir, l’humanité achèverait ce processus par lequel elle aspire à se faire l’origine d’elle-même.

Denis Marquet, Osez désirer tout : la véritable philosophie du Christ (Paris: J’ai lu, 2022), p. 160

La tentation transhumante se comprend très bien: la vision matérialiste de l’univers montre l’homme comme une machine biologique issue du hasard de l’évolution. Son existence est donc dénuée de sens; elle s’achève à la mort physique par une plongée dans le néant éternel.

D’où la volonté de supprimer la mort. En attendant, l’homme moderne aspire à mener une vie la plus confortable et la plus plaisante possible. De là découlent ses exigences de choix et de libertés individuelles avec, en parallèle, le refus de l’épreuve et du sacrifice. Ainsi s’expliquent les aspirations modernes pour le droit au divorce, à la contraception, à l’avortement et, bientôt, à l’euthanasie.

La Franc-Maçonnerie ne fait qu’accompagner cette évolution en formalisant des aspirations pour les faire entrer dans la Loi, voire dans la Constitution. Autrement dit: elle achève de détruire les balises morales qui, depuis longtemps, étaient méprisées par tous et piétinées par certains.

Notre objectif

Voilà pourquoi j’affirme qu’il me paraît vain de vouloir moraliser la République. Issue du matérialisme triomphant, la République conduit nécessairement à ce que nous vivons aujourd’hui. Ceux qui rêvent d’un retour aux années 1950 s’illusionnent.

Certes, le petit monde de Don Camillo peut paraître attachant, mais le ver était depuis longtemps dans le fruit. La révolte de 1968 et le phénomène hippie se profilaient à l’horizon. Par conséquent, revenir à la France des années 1950 — à supposer que cela soit possible — serait réenclencher un processus qui, 70 ans plus tard, nous mènerait là où nous en sommes aujourd’hui.

Notre objectif doit être de changer la société en restaurant une vision spiritualité de l’Homme, ainsi que la primauté du Bien commun.

Dans son éditorial du 7 juin, Jérôme Bourbon a souligné que le maréchal Pétain représentait « l’honneur, la fidélité, la loyauté, le désintéressement, le souci du bien commun, le sens du sacrifice, le service de la patrie, l’oubli et le don, de soi jusqu’au martyre. »

Il concluait: « le maréchal Pétain fut assurément notre dernier vrai chef d’État. Après lui, nous n’avons eu que des cloportes conduisant notre peuple à la ruine et à la servitude, et notre pays au crépuscule et au tombeau. »

Allant plus loin, je dirai que la défaite des forces de l’Axe fut une catastrophe, car le IIIe Reich représentait le dernier espoir d’un retour possible à une Europe vivifiée, sans passer par une phase d’effondrement total.

Notre objectif doit être de changer la société en restaurant une vision spiritualité de l’Homme, ainsi que la primauté du Bien commun.

Il n’en est plus de même aujourd’hui, car (je le répète depuis vingt ans) tant que les supermarchés seront achalandés, les pompes à essence pleine et les portables en fonctionnement, le peuple hédoniste étant satisfaits dans ses appétits matériels, aucune révolution nationale ne sera possible, d’où l’absence d’une nouvelle Jeanne d’Arc.

Un ami philosophe m’a écrit: « Je ne crois plus, en fait de rédemption terrestre, qu’aux vertus terribles de la souffrance, dans un climat de guerre civile qui révélera les pires aspects de la condition humaine, avec, par réaction, quelques manifestations de lucidité et d’héroïsme, qui peuvent susciter des vocations. »

L’hypothèse de la guerre civile rédemptrice est assez partagée dans nos milieux. J’en admets sans peine la pertinence: de telles catastrophes peuvent en effet provoquer de nombreux réveils salutaires.

Toutefois, pour ma part, je privilégie une hypothèse moins dramatique: la tyrannie idéologique et sanitaire se renforçant sur fond de crise endémique, je pense que dans les prochaines années, des pans entiers de la partie encore saine de la population fuiront pour former des communautés saines à l’étranger. Certaines seront fondées sur une vision spiritualiste de l’Homme et sur la primauté du Bien commun. Après l’effondrement du Système et une fois le « grand nettoyage » terminé, ces communautés pourront revenir au pays pour former un nouveau tissu social sain.

Quelle que soit l’hypothèse envisagée, un fait reste certain: au moment de l’effondrement, un noyau devra être prêt, spirituellement, intellectuellement et physiquement, afin d’assurer la relève. Telle est notre mission aujourd’hui. Si nous nous révélons à la hauteur, lorsque tout s’écroulera, la Providence suscitera une nouvelle Jeanne d’Arc.

Travaillons donc à nous préparer en nous bonifiant sur tous les plans. Le secours ne viendra pas de l’étranger, mais de nous-mêmes, représentants du peuple français.