Lettre à un jeune militant nationaliste (6/8)

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Dans cette sixième partie, Vincent Reynouard explique d’une part, pourquoi se borner à dénoncer la décadence ne sert à rien, et d’autre part, pourquoi, à l’heure actuelle, il n’est pas possible de compter sur les catholiques traditionalistes pour assurer un renouveau spirituel.

Pour ceux qui ne les auraient pas encore lues:Pour ceux qui ne les auraient pas encore lues, voici les liens des 1ère partie, 2e partie, 3e partie, 4e partie, 5e partie.

Nous vous souhaitons une agréable lecture.


6. Promouvoir une vision spirituelle de l’Homme

6.1. Cesser de se contenter de dénoncer

Pour sortir de ce piège mortel, il faut revenir à une conception spirituelle de l’Homme
Cessons donc de nous focaliser sur des ennemis réels ou imaginés. Ces combats « contre » n’ont cessé de démontrer leur inutilité. Depuis 200 ans (voire davantage), ils n’ont rien empêché. Rien.

Dans son éditorial du 26 avril 2023, Jérôme Bourbon dénonçait:

Ce rouleau compresseur qui va toujours plus loin dans l’horreur, car cette machine infernale ne s’arrête jamais: après le Pacs, il y a eu le mariage pour tous et le droit à l’adoption. Puis, ce fut la PMA ouverte aux lesbiennes et on parle désormais de légaliser la GPA, déjà largement pratiqué dans les faits.

Les revendications vont toujours plus loin dans la folie: après « l’orientation sexuelle » et les droits chaque jour plus nombreux accordés aux invertis, voilà désormais que l’on s’en prend directement à l’identité de genre, avec le phénomène transsexualiste qui fait des ravages dans l’enfance et la jeunesse […] Dans les années 1980, des députés scandinaves verts ou d’extrême gauche votaient au Parlement européen des motions pour les droits des homosexuels et des transsexuels.

Ce qui paraissait à l’époque des initiatives marginales de gauchistes isolés et azimuts est entré officiellement dans la législation de la plupart des pays d’Europe et d’Occident. Et ce en à peine une génération ce qui n’est rien au regard de l’Histoire, du temps long […] L’avortement est désormais un droit qui va être dans quelques mois protégé par la Constitution […] Et le fœtus qui pouvait être légalement mis à mort jusqu’à 10 semaines de grossesse peut l’être aujourd’hui jusqu’à 14, après l’avoir été jusqu’à 121.

Certes, le matraquage médiatique permet cette évolution funeste, mais les raisons profondes sont ailleurs.

Dans une société qui adopte une vision matérialiste de l’Homme, le fœtus n’est qu’un paquet de cellules. Dès lors, on doit pouvoir s’en débarrasser quand on le souhaite: dix, douze, quatorze semaines, voire davantage; pourquoi pas quinze, seize, vingt semaines?

Dans une société qui adopte une vision matérialiste de l’Homme, l’individualisme est roi: tant que je ne suis ni menacé ni gêné dans ma sphère privée, les autres peuvent faire ce qu’ils veulent, se marier avec une personne du même sexe, adopter, choisir la GPA… D’où ces droits toujours plus étendus, sans que la majorité ne se révolte.

6.2. La dénonciation trahit un vide existentiel

La vision matérialiste de l’Homme est comparable au lit de la rivière: c’est le lit qui commande l’écoulement des eaux. Vouloir inverser le courant en dénonçant les groupes de pression ou en s’indignant de faits divers, c’est comme jeter des cailloux dans la rivière en espérant faire remonter les eaux. Les remous provoqués feront naître des vaguelettes dont certaines iront à contre-courant, mais une fois l’agitation locale disparue, l’écoulement initial reprendra comme si rien ne s’était passé.

Depuis deux siècles au moins, cette stratégie s’est révélée inefficace. Malgré cela, bien des gens l’adoptent en dénonçant sur les réseaux sociaux des groupes de pression et des personnalités promettant la décadence. Perdant leur temps et leur énergie, leur seule « victoire » est strictement personnelle: ils se défoulent. Pourquoi tant de vanité? Un jeune correspondant a trouvé la réponse:

Ces adeptes de la seule dénonciation souffrent d’un mal hélas trop répandu dans nos milieux: le plaisir de l’indignation. Au fond, la présence de l’immigré, la montée en puissance de groupes de pression idéologiques prouvant la décadence leur plaît. L’ancien monde, celui de leur enfance [de leurs parents ou de leurs grands-parents] a disparu et ils ont été précipités dans un abîme de nihilisme, avec le reste de la société.

Pour échapper au vide existentiel qui les ronge au même titre que leurs compatriotes de gauche, ils s’opposent, ils cherchent à exister en livrant des combats faciles consistant à blâmer l’autre, à s’émouvoir de la déliquescence de la France. Mais ils ne font que jouir de la destruction. Les malheurs de notre pays leur offrent de plus sûrs motifs d’indignation, ils se délectent, secrètement, de cette situation qu’ils décrètent définitivement sans espoir pour justifier en retour leur inaction.

J’ajouterai que si certains décrètent la situation sans espoir, d’autres attendent passivement le « grand soir » où tous ceux qu’ils dénoncent seront pendus. Toutefois, un cas comme dans l’autre, ces gens n’entreprennent aucune action positive et ne se livrent à aucune réflexion constructive. En particulier, ils ne font rien pour que change l’image de l’Homme adoptée par nos sociétés.

6.3. Le catholicisme traditionaliste apporte-t-il la solution?

Certains d’entre eux m’objecteront que, dans un monde gangrené par le matérialisme, revenir à une vision spiritualiste de l’Homme est impossible. Je concède que le défi est difficile à relever, non seulement à cause du matérialisme régnant, mais aussi parce que les divisions de nos milieux en matière de spiritualité représentent un handicap certain. D’après mes propres constants, la droite nationale compte des indifférents, des néopaïens et des catholiques dits traditionalistes. Ces trois courants sont majoritaires, mais on trouve également des protestants, des catholiques conservateurs, des musulmans, des hindouistes et des ésotéristes divers.

Les catholiques traditionalistes seront les premiers, et sans doute les plus nombreux, à œuvrer pour un retour du spirituel. En effet, leur vision reste celle du cardinal Pie:

Nous chrétiens, nous formons une société, un peuple à part, qui n’est plus en communauté d’idées avec l’immense société qui nous entoure, qui se désagrège ou plutôt qui est en pleine dissolution. Si un autre monde doit se former et continuer, il faudra nécessairement qu’il se reconstitue sur le principe catholique, qui est le seul fondement qui offre de la consistance; sinon c’est la fin de toute chose2.

Tout est à refaire pour créer un peuple chrétien: cela ne se fera pas par un miracle ni par une série de miracles surtout ; cela se fera par le ministère sacerdotal, ou bien cela ne se fera pas du tout, et alors la société périra3.

L’ennui est que, sans même évoquer les schismes au sein du catholicisme (les Églises vieilles-catholiques, les Petites Églises, l’Église catholique libérale, l’Église catholique apostolique du Brésil, l’Église catholique nationale polonaise, l’Église gréco-catholique orthodoxe ukrainienne, etc.), le monde catholique traditionaliste est très divisés: viennent d’abord les communautés Ecclesia Dei, fidèles à Rome (Fraternité sacerdotale Saint-Pierre, Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, Institut du Bon-Pasteur, Union sacerdotale Saint-Jean-Marie-Vianney, etc.), puis une myriade de communautés et de factions plus en moins en désaccord avec Rome, parmi lesquelles on trouve la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X, l’Union Sacerdotale Marcel Lefebvre, l’Institut Mater Boni Consilii, Fraternité Saint-Dominique et autres sédéprivationnistes (partisans de la thèse Cassissiacum), et encore toutes sortes de sédévacantistes (Société Saint-Pie V, Fraternité Notre-Dame, ceux qui acceptent les évêques thucistes4 et ceux qui les rejettent, etc.)…

Pour avoir fréquenté ces milieux pendant dix ans, je peux témoigner de l’âpreté de leurs disputes. La récente lettre ouverte de l’abbé Nicolas Pinaud à l’abbé Benoît de Jorna (supérieur du district de France pour la FSSPX), publiée par Rivarol, en apporte une nouvelle confirmation.

Quand j’observe ces disputes, les paroles du Christ me reviennent à l’esprit: « Tout royaume divisé contre lui-même va à la ruine et les maisons tombent l’une sur l’autre » (Lc 11:17).

À regret, j’affirme que les injonctions du cardinal Pie pour la création d’un peuple chrétien (donc adoptant une vision spirituelle de l’Homme) pouvaient se comprendre lorsque les catholiques français écoutaient tous le même pape au sein d’une Église en ordre. Aujourd’hui cependant, elles m’apparaissent vaines: un traditionalisme divisé ne peut servir de fondement à un renouveau spirituel.

Suite: 7e partie.