Compte-rendu de l’audience du 13 juillet

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Des débats elliptiques

Jeudi 13 juillet, à 7h30, le gardien chargé du premier appel me dit de me préparer pour me rendre au tribunal. Ce n’est pourtant qu’une audience préliminaire et d’ordinaire, j’assiste à ces audiences depuis la prison, en téléconférence.

Au début de l’audience, une interprète prêta serment. Eh bien! les interventions me seraient traduites. C’est la première fois depuis décembre dernier. L’affaire semblait sérieuse.

Avant le commencement des débats, mon avocat m’annonça que l’audience plénière serait remise au 19 octobre, et il ajouta: « nous en reparlerons. »

Il reprit sa place, puis, après l’interrogatoire d’identité, il se leva et demanda le report au 19 octobre. Le juge accepta et donna la parole au procureur qui n’éleva aucune objection. Les échanges furent si elliptiques que l’interprète ne comprit pas non plus les raisons de ce report.

À un moment, elle commit une erreur et traduisit « nineteenth of October » par « dix-neuf septembre ». Elle corrigea immédiatement: « Oh! Pardon: 19 octobre. » Je lui répondis: « On n’est plus à un mois près, » et nous rîmes tous deux.

La greffière m’instruisit du résultat des échanges: audience plénière reportée au 19 octobre, audience préliminaire prévue pour le 21 septembre. Puis je fus invité à quitter la salle, menotté à une charmante gardienne.

Une justice de coulisse

Pourquoi ces débats si elliptiques? Tout simplement parce que la justice anglo-saxonne fonctionne beaucoup avec des discussions de coulisses. Avant l’audience, les parties se réunissent pour parvenir à des accords destinés à limiter le temps des procès.

Je m’en suis aperçu en discutant avec des détenus d’Édimbourg. Pour eux, c’est naturel et c’est même bénéfique.

Voici un exemple: un citoyen a volé un vélo dans le jardin d’une maison individuelle, non sans avoir poussé violemment son propriétaire. Il est accusé de « trouble  à la paix » et de « vol avec violence ».

En coulisse, son avocat propose au procureur: « Mon client plaidera coupable pour trouble à la paix et vol. En échange, acceptez-vous d’abandonner l’accusation de violence, car il n’a fait que pousser — certes assez fortement — le propriétaire? »

Généralement, le procureur accepte. L’inculpé plaide coupable, ce qui évite de mobiliser l’appareil judiciaire pour l’organisation d’un procès. En échange, l’accusé échappe aux poursuites pour le délit le plus grave (violence), ce qui lui vaut une peine plus légère.

De nombreux détenus m’ont raconté leur affaire: grâce à ces discussions de coulisse, certains voient quatre ou cinq accusations abandonnées par le procureur, et une affaire qui pouvait leur valoir jusqu’à dix ans de prison se réduit à un cas méritant au maximum deux ans.

Voilà pourquoi les discussions préliminaires qui ont eu lieu dans mon affaire ne m’effraient pas. Si elles avaient abouti à un résultat défavorable, mon avocat se serait opposé et l’audience plénière aurait été maintenue au 27 juillet.

Avec Vincent, je positive

Certains m’objecteront que je resterai trois mois de plus en prison, ce qui excédera d’environ dix semaines la peine d’un an ramenée à neuf mois en raison des remises automatiques. J’en conviens, mais j’ai appris à me réjouir de ce dont je bénéficie plutôt que de maugréer sur ce que je n’ai pas.

Si la Justice écossaise avait voulu m’extrader manu militari, elle l’aurait décidé dès décembre; mais au lieu de cela, flairant la malhonnêteté des autorités françaises, elle a exigé des explications et s’est documentée sur mon cas. Depuis, elle opère avec prudence. C’est déjà un très bon point.

De plus, je profite de très bonnes conditions de détention. Répondant à mon amabilité et à ma gentillesse, détenus et gardiens font tout pour m’être agréables.

Lorsqu’une gardienne a appris ce report de trois mois, elle s’est écriée: « mais c’est loin! » Je lui ai répondu: « Certes, mais je suis heureux ici. » Elle m’a dit: « Si vous êtes heureux, alors nous sommes heureux. »

Intouchable

Voilà quelques jours, vers 6h30 du matin, des cellules furent fouillées et des téléphones illégaux saisis. Vers 10h, alors que je revenais de ma course du matin, un détenu, D., vint me prévenir: « Des téléphones illégaux ont été saisis. Prendre garde à ton téléphone légal, car dans ce genre de situation, on pourrait tenter de te le voler. »

Je lui répondis: « Je le mets toujours dans le placard de mon bureau. Je vais donc le changer de place. » En ouvrant le placard, je constatai que le téléphone n’y était déjà plus. « Ah! On me l’a volé. »

Je pris mes affaires pour la douche, assurant à D. que je préviendrais les gardiens. Une fois sous la douche, plusieurs détenus vinrent me parler: « Vincent, on t’a volé ton téléphone? Attends un peu: on va te le retrouver, et gare au type qui a fait ça. »

Lorsque je sortis de la douche, je vis qu’un attroupement s’était formé dans le hall. Il était question de mon téléphone. Les détenus étaient révoltés: « Quelqu’un a volé le téléphone de Vincent! »

Cinq minutes plus tard, D. me le reporta. « Je ne veux pas savoir qui me l’a volé, fis-je. Pour moi, l’affaire est close. »

Dans ma cellule, au calme, je rédige un résumé de mes mémoires à paraître en automne et j’apprends à dessiner des manges. Je joins à ce texte un premier portrait  bien réussi dans ce style, avec de grands yeux, un nez minuscule et une petite bouche. Après de nombreux essais, j’ai enfin compris la technique, même s’il me reste des procès à accomplir.

Vacances forcées, mais studieuses

Mes souvenirs de la prison d’Édimbourg resteront parmi les plus beaux de ma vie. Après dix ans de travail (de combat) acharné, sans prendre de vacances, dans un parcours semé d’épreuves, la Providence m’accorde du repos. Neuf mois normalement, et peut-être trois mois de plus. Je ne murmurerai pas contre cette éventuelle prolongation, bien au contraire: si elle est confirmée, alors je remercierai le Ciel.

J’ajoute que ce repos en prison n’est guère différent de celui que je prendrais en liberté: je passerais le plus clair de mon temps chez moi, à lire, écrire, méditer, dessiner. Certes, je pourrais effectuer des randonnées à vélo; mais ici, je peux courir, aller  à la salle de sport, et on s’occupe de tout pour moi (cuisine, linge, etc.).

Bien que cela puisse choquer, je remercie la Providence de m’avoir fait aimer la vie simple, sans attachements matériels, régionaux, familiaux. Pour moi, la prison est un endroit quasiment comme un autre. Rien en me manque ici.

Dernière précision: si les juges écossais n’ont pas évoqué une remise en liberté, c’est parce que je ne l’ai jamais réclamée. Depuis novembre 2022, j’ai accepté de rester en prison. Pourquoi? Parce que je n’ai plu ni domicile ni affaires personnelles.

Lorsque le 25 octobre 2021, j’ai fui mon appartement, mon principal collaborateur a dû le vider, car je ne pouvais plus payer le loyer. Il a sauvé mon matériel de travail et ma bibliothèque (environ 3000 livres), mais il a dû donner le reste (habits, vaisselle, etc.) à une boutique de charité.

À 54 ans, je n’ai donc plus rien, excepté mes livres et mon matériel informatique. Dès lors, je préfère rester en prison en attendant soit une remise ne liberté en Écosse, soit une extradition vers la France.

Je remercie celles et ceux qui, par des lettres, des dons, des envois et des prières me soutiennent dans mon aventure.