Nous poursuivons la publication de la lettre de Vincent Reynouard à un jeune nationaliste.
Dans cette deuxième partie, Vincent Reynouard explique pourquoi la vision matérialiste de l’Homme est incompatible avec une société qui promeut la primauté du Bien commun.
Pour ceux qui ne l’auraient pas encore lue, la première partie de cette lettre se trouve à cette page.
Nous vous souhaitons une agréable lecture.
3.2. La vision matérialiste de l’Homme: un obstacle à la primauté du Bien commun
Cependant, un problème se pose: suis-je prêt à œuvrer pour le Bien commun malgré l’incertitude de gagner au change, ou si j’estime ne pas récolter le bénéfice attendu?
Pour l’accepter, il faut être capable de sacrifier ses intérêts personnels; mais si le sacrifice contrarie à jamais mes aspirations, voire compromet mon existence, alors une croyance ferme en une récompense auprès la mort se révèle d’un grand secours.
Par « croyance ferme », j’entends une conviction suffisamment profonde pour se traduire dans les actes quotidiens. En effet, une croyance vague en l’au-delà ne suffit pas pour orienter la vie. Le plus souvent, la personne superficielle dans la foi se comporte comme un athée.
Des années d’observations du milieu familial m’en persuadèrent: ma famille était composée de croyants, d’agnostiques et d’athées, mais jamais les conversations ne portaient sur l’éternité. Les préoccupations des uns et des autres restaient bassement matérielles, rien ne distinguait le croyant de l’agnostique ou de l’athée; pour tous, la vie, c’était ici et maintenant, dans ma matière. À la mort, on verrait bien, ou on ne verrait rien.
Dès lors, mieux valait profiter au mieux des quelques années accordées, en s’organisant une vie confortable, avec un emploi bien rémunéré, des loisirs, des vacances, des passe-temps, des assurances et des mutuelles. Le souci des autres se bornait à une politesse mondaine et quelques dons effectués pour soulager la conscience.
Le diplomate Dag Hammerskjöld a fort bien conclu mes observations du milieu familial: « Nos idées sur la mort définissent comment nous menons nos vies. »
Le prêtre et psychanalyste Tony Anatrella ajoute: « Sans une conception spirituelle de l’homme dont nous avons pourtant hérité, il est difficile d’être sensible à une autre vérité que celle de ses intérêts immédiats » 1.
C’est exact: sans la conviction ancrée que la mort n’est pas une plongée dans le néant éternel, la majorité délaisse le souci du Bien commun pour rechercher une vie toute repliée dans la sphère privée et garantissant une jouissance des biens matériels librement choisis. Telle sera sa principale aspiration, source de son projet de société. Connu sous le nom d’individualisme, il orientera le pays vers les politiques défendant les libertés de chacun, à commencer par celle de consommer.
3.3. Une confirmation donnée par la société moderne
De façon logique, ce type de société verra le succès des initiatives et des innovations favorisant les biens particuliers.
À propos des algorithmes qui guident les applications plébiscitées par le grand public, deux journalistes scientifiques soulignent:
Uber, Waze, Delivroo, etc., sont des plateformes algorithmiques fondées sur l’optimisation individuelle et non sur une norme collective (par exemple, Waze déviera un flux de voiture sur une zone pavillonnaire en sortie d’école par le seul préparamétrage performance/gain de temps) […] ces applis développent des modèles d’intégration hyperconcurrentiels dans une logique hors-sol qui joue l’optimisation de l’utilité individuelle contre la norme politique et le Bien commun […] La gouvernance par les algorithmes entraîne ainsi un changement de paradigme qui voit la régulation de la ville se déplacer d’une logique de choix collectifs à des optimisations utilitaristes de la satisfaction individuelle. 2
Certains incrimineront les concepteurs des algorithmes. Une partie de la faute leur revient sans doute, mais ils choisissent leurs stratégies en toute connaissance des attentes du grand public. Autrement dit, ils ne font que s’adapter à la demande. Chacun veut l’efficacité et la jouissance personnelle, sans aucune considération ni pour les autres ni pour les générations futures.
L’exemple de la pollution est flagrant: qu’il s’agisse du matériel qui se démode — donc qu’on remplace, engendrant des déchets non recyclables — ou de l’énergie consommée à tous les niveaux, le numérique est un secteur très polluant; mais les peuples qui veulent en profiter pour se divertir et optimiser leur vie, ils s’en moquent et préfèrent dénoncer les pollutions pour lesquelles la faute revient aux autres (industries, transports…).
Les deux journalistes déjà cités constatent: « Si le problème posé par les énergies fossiles est désormais bien identifié dans l’opinion, le secteur du numérique représente encore un véritable angle mort. » 3
L’excuse est toujours la même: « Je n’ai qu’une vie, je veux en profiter. Si je m’abstiens, cela ne changera rien à la situation générale. En outre, les générations à venir trouveront une solution. »
3.4. Conclusion: restaurer la vision spirituelle de l’Homme
La conclusion s’impose: le modèle social en place découle de la vision de l’Homme qui prévaut au sein du peuple, une vision matérialiste qui promeut inévitablement une société violant le principe de la primauté du Bien commun.
La fracture que tu évoques dans ton courrier, cher A., s’est produite lorsque nos sociétés sont passé d’une conception spirituelle de l’être humain à une vision matérialise.
4. La droite nationale se trompe sur l’origine de la décadence
Si donc nous voulons sauver ce qui peut l’être, nous devons restaurer la spiritualité. « Laquelle? » me demanderas-tu. Avant de répondre, encore faut-il convaincre nos milieux de la pertinence de cette stratégie.
4.1. La stratégie adoptée par la droite nationale
En effet, au sein de la droite nationale, le discours communément entendu est le suivant: « Évitons toute querelle à propos des questions religieuses; pour l’heure, il importe de démasquer les ennemis qui nous gouvernent en secret, afin de susciter un rejet massif du Système et de permettre aux forces nationales de prendre la direction du pays. Leur première mission sera d’épurer la société (procès des traîtres, et de leurs complices, remigration, fermeture des loges maçonniques…) et de faire cesser le Grand Remplacement. Les autres problèmes — en particulier ceux liés à la religion — seront discutés ensuite. »
Les catholiques traditionalistes ajoutent que les autorités nationales devront restaurer la royauté sociale du Christ supprimée par la république franc-maçonne.
4.2. Une stratégie qui découle d’une vision erronée du passé
Ainsi, dans nos milieux, la fracture est considérée comme une conséquence (parmi d’autres) d’un complot maçonnique — devenu judéo-maçonnique — tant pour objectif de détruire l’ordre ancien fondé sur le trône et l’autel.
La conspiration, nous dit-on, se serait développa au XVIIIe siècle, avec l’implémentation de la Franc-Maçonnerie sur le territoire. Le trône s’appuyant sur l’autel (puisque la monarchie absolue de droit divin tirait sa légitimité de Dieu), les conjurés s’attaquèrent au catholicisme. Leur cible principale fut la noblesse oisive qu’ils travaillèrent, afin de lui faire perdre la Foi.
La mission fut aisée, car les nobles, rendus dépravés par le désœuvrement, voulaient se libérer de la morale catholique jugée trop exigeante. D’où leur empressement à lire Voltaire, Bayle, Fontenelle, Montesquieu, Diderot, l’Encyclopédie et d’autres pamphlets impies, afin d’abjurer la religion de leurs ancêtres, du moins en privé.
Les classes dominantes ayant été perverties par la pensée maçonnique, le complot conduisit au déchaînement des forces révolutionnaires. Ce fut 1789 et ses suites funestes: la mise à mort du roi et la persécution du clergé resté fidèle à Rome. L’immense majorité du peuple se contenta de suivre les événements, impuissant à les faire cesser. Les quelques révoltes furent d’ailleurs réprimées dans la violence et le sang (Lyon, Vendée…).
Le début du XIXe siècle, nous explique-t-on encore, fut une période d’instabilité politique qui connut deux tentatives de restauration monarchique, avec Louis XVIII et Charles X; mais la franc-maçonnerie étant parvenue à investir les rouages de l’État, en 1830 et en 1848, elle put provoquer des troubles révolutionnaires qui écartèrent définitivement la royauté.
La guerre malheureuse de 1870 vit l’écroulement du Second Empire. La République maçonnique fut alors instaurée, qui allait entreprendre la déchristianisation de la France: lutte contre l’enseignement confessionnel, reconnaissance du divorce, anticléricalisme, expulsion des congrégations religieuses et, en 1905, séparation de l’Église et de l’État.
Parallèlement, la judéomaçonnerie infiltra l’Église catholique, afin de la détruire de l’intérieur: la crise moderniste, dans les années 1900, en fut une première manifestation. L’entreprise aboutit soixante ans plus tard au conseil Vatican II.
Ce furent aussi Mai 1968, la libération sexuelle, la contraception autorisée, l’avortement légalisé. L’étape suivante fut la submersion migratoire et le Grand Remplacement.
Telle est, très résumée, l’histoire de la décadence vue par la droite nationale. Elle innocente l’Ancien Régime, l’Église catholique (de l’époque) et le peuple pour porter le blâme sur des forces occultes qui, depuis longtemps, auraient comploté contre les nations, afin d’établir un gouvernement mondial luciférien.
Dans ce monde, les peuples métissés — donc sans racine — et dénués de toute spiritualité authentique seront réduits à l’état d’un troupeau de consommateurs avides de jouir des biens matériels pour oublier leur vie monotone et insipide. Non seulement ils enrichiront l’élite qui gouvernera en secret, mais aussi, ils réclameront toujours plus de contrôles en échange d’une optimisation (illusoire) de leur vie.
À propos des « assistants personnalisés » promus par les géants de l’Internet, Shoashana Zuboff cite l’économiste en chef de Google, Hal Varian, qui estime que:
La personnalisation est l’équivalent, au XXIe siècle, de ces dynamiques historiques, le nouveau « minimum vital » pour les masses accablées par le poids d’une rémunération qui stagne, des exigences de double carrière, de l’insensibilité des entreprises et des institutions publiques que l’austérité a vidées de leur sens. Varian fait le pari que l’assistant numérique peut devenir une ressource si essentielle dans l’accomplissement d’une vie effective que les gens ordinaires accepteront les confiscations non négligeables qu’elles impliquent. « On ne remettra pas le génie en bouteille », martèle Varian l’inévitabiliste. « Tout le monde s’attendra à être géolocalisé, contrôlé, car les avantages en termes de praticité, de sécurité et de service seront tellement considérables, […] le contrôle permanent sera la norme. » 4
Suite: 3e partie.