Lettre à un jeune militant nationaliste (3/8)

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Dans cette troisième partie, Vincent Reynouard présente le mauvais diagnostic de l’origine de la décadence dressé par la droite nationale. Puis il commence son propre tableau des causes du déclin de l’Europe.

Pour ceux qui ne les auraient pas encore lues, voici les liens des 1ère partie, 2e partie.

Nous vous souhaitons une agréable lecture.


4.3. Une stratégie qui a montré son inefficacité

Pour tenter d’inverser le cours des événements, la droite nationale dénonce auprès du peuple cette conspiration qui serait organisée contre lui. Cette stratégie n’est pas nouvelle: au XIXe siècle, les papes dénonçaient parfois violemment la Franc-maçonnerie.

En 1886, le catholique Édouard Drumont fustigea l’influence des Juifs sur la société française dans son ouvrage La France juive, qui connut un succès retentissant.

C’était à l’époque où l’affaire Dreyfus déchaînait les passions, portant la question juive sur le devant de la scène. Les antijuifs et les antidatons pouvaient alors s’exprimer bien plus librement qu’aujourd’hui. Or, ces entreprises de dénonciation se soldèrent par des échecs.

4.4. Décadence: le mauvais diagnostic de la droite nationale

On m’objectera que, depuis 1798, le peuple était manipulé, abruti même par les forces ténébreuses au pouvoir. Cette explication n’est guère convaincante.

Lorsque la République déchristianisait la France, sa politique était ostensible: fermeture des écoles catholiques, ouverture forcée des couvents (on parlait de crochetage) pour en expulser les occupants, laïcisation des institutions…

Les foules catholiques le voyaient, et, à l’époque, la France comptait une immense majorité de Français fidèles à l’Église de Rome. Or, l’Église ne put les mobiliser pour organiser une fronde efficace. Ce manque de réaction démontre que la Foi s’était considérablement refroidie.

Certains imputent ce phénomène à l’action maçonnique au XVIIIe siècle. Toutefois, ce raisonnement pose problème. En effet, lorsque la Franc-Maçonnerie spéculative s’établit en France, peu avant 1720, l’Église catholique était encore puissante: elle catéchisait les enfants et enseignait les adultes lors des sermons dominicaux.

Je veux bien admettre qu’une partie de la noblesse ait été dépravée, donc encline à abjurer le catholicisme et sa morale exigence, mais la nation n’était certainement pas peuplée d’une multitude décadente.

Dès lors, à supposer que la Franc-Maçonnerie ait été responsable du déclin de la Foi, comment expliquer son succès? Plus généralement, comment se fait-il qu’en 250 ans (1720-1970), dans cette Europe majoritairement chrétienne depuis des siècles, une conspiration judéomaçonnique ait pu, étape par étape, tout miner, tout renverser, sans jamais rencontrer une résistance efficace? Comment expliquer que les églises chrétiennes n’aient pas pu, ou pas su, mobiliser leurs fidèles pour mettre en échec les forces ténébreuses?

Jeune militant, je me suis posé ces questions, car je voulais comprendre, afin d’attaquer le mal à la racine. À force de réflexion, j’ai réalisé que la thèse du complot comme cause première de l’évolution mortifère de notre société était inexacte. Si, au XVIIIe siècle, la Foi perdit du terrain, fragilisant l’Ancien Régime où le trône s’appuyait sur l’autel, il faut l’imputer à une évolution de la pensée sous l’influence des sciences expérimentales.

Depuis le XVIe siècle, les découvertes réalisées dans différents domaines des sciences (en astronomie et en biologie notamment), avaient ébranlé certains enseignèrent dispensé par l’Église catholique. Cette vérité capitale étant trop méconnue dans nos milieux, je la développerai: elle permettra de comprendre pourquoi la stratégie de dénonciation du Système se révèle inefficace. Ce qu’il faut, c’est changer la vision de l’Homme.

5. L’origine de la décadence

5.1. La vision de l’univers selon la Bible

S’appuyant sur le premier chapitre de la Genèse, l’Église présentait l’Homme comme le sommet et le chef de la Création (Gen. 1:28).

Il avait été placé sur Terre qui, d’après le système cosmologique de Ptolémée, occupait le centre de l’Univers, et était entourée de huit sphères qui portaient respectivement la Lune, le Soleil et les cinq planètes connues à l’époque, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter et Saturne. La sphère la plus extérieure portait les étoiles fixes.

Système de Ptolémée

Ce qu’il y avait au-delà de cette sphère ne fut jamais bien précisé, mais les autorités chrétiennes prêchaient que c’était sans doute là-bas que se trouvait le Paradis, le Royaume de Dieu et des élus.

Conformément à la pensée d’Aristote selon laquelle Dieu avait donné aux astres errants un mouvement circulaire, car celui-ci représentait la perfection, Ptolémée affirmait que les planètes décrivaient des cercles autour de la Terre, et pour expliquer leurs mouvements rétrogrades à certains moments, il avait ajouté des épicycles, c’est-à-dire de petits mouvements circulaires que les planètes auraient effectués durant lors rotation principale.

Le modèle de Ptolémée fournissait un système qui permettait de prédire avec précision les phénomènes célestes tels que les éclipses. Beaucoup pensaient qu’il décrivait la réalité, et parmi eux, les théologiens chrétiens de l’époque, satisfaits d’y trouver une vision de l’univers en accord avec les Saintes Écritures.

5.2. Jusqu’au XIIe siècle, les sciences de l’observation sont délaissées

Toutefois, à la même époque, et ce depuis l’Antiquité, les sciences fondées sur l’observation étaient relativement peu développées.

Certes, au VIIe siècle avant notre ère, dans la cité de Milet, une école de penseurs grecs avait entrepris d’expliquer certains phénomènes naturels en leur attribuant des causes physiques. Thalès, par exemple, pensait que la Terre flottait sur les eaux, donc que les séismes étaient provoqués par l’agitation des flots. Anaximandre, pour sa part, comprit que la pluie résultait de la condensation de l’eau évaporée des océans.

Toutefois, pour les Grecs, les phénomènes naturels, dans leur majorité, n’étaient pas mathématisables et, dès lors, ils étaient considérés comme provoqués par Dieu ou ses envoyés. Cette vision des choses perdura au Moyen-âge, car le christianisme considérait que la Nature avait été créée pour l’Homme, afin qu’il glorifie son Créateur.

Pendant une dizaine de siècles, en Europe, la pensée dite scientifique évolua peu. Deux disciplines régnaient, l’astronomie et l’alchimie, mais elles restaient réservées à quelques initiés.

Cependant, l’observation de certaines réactions alchimiques permit d’établir les fondements de la chimie. De même, l’évolution des techniques de fabrication, comme la métallurgie, permit à certains d’entrevoir les lois de la physique. En 1269, Pierre de Maricourt, savant français spécialiste de la métallurgie, publia une livre qui exposait les propriétés des aimants sans faire intervenir ni Dieu ni ses envoyés.

Suite: 4e partie.