Lettre à un jeune militant nationaliste (4/8)

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Dans cette quatrième partie, Vincent Reynouard explique comment, à partir du XVIe siècle, l’Europe passa peu à peu, au rythme des observations et des découvertes scientifiques, d’une conception du monde où tous les phénomènes naturels étaient provoqués par un Dieu omnipotent, à celle d’un univers gouverné par des lois mathématiques sans lien avec une quelconque intervention divine.

Pour ceux qui ne les auraient pas encore lues, voici les liens des 1ère partie, 2e partie, 3e partie.

Nous vous souhaitons une agréable lecture.


5.3. La révolution copernicienne

Parmi les observations les plus poussées figuraient celles du ciel. Elles avaient conduit à affiner le système de Ptolémée en y ajoutant des épicycles. Le mouvement des astres étaient décrits de façon de plus en plus précise, mais le modèle avait perdu sa simplicité initiale qui, disait-on, était une caractéristique du divin. Dès lors, sa validité fut remise en cause.

Représentation du mouvement du Soleil, de Mercure et de Vénus dans le modèle géocentrique de Ptolémée

Si Dieu était infini, l’univers qu’Il avait créé n’était-il pas lui aussi, infini, comme la série des nombres entiers? En 1440, Nicolas de Cues, ecclésiastique philosophe et mathématicien, émit l’hypothèse que l’univers était infini, donc que la Terre ne pouvait en être le centre fixe: « De là vient que la machine du monde aura, pour ainsi dire, son centre partout et sa circonférence nulle part, puisque son centre et sa circonférence sont Dieu, qui est partout et nulle part1« ; mais il n’élabora pas un modèle cosmologique, et son travail fut oublié.

Toutefois, d’autres travaillaient et observaient pour comprendre. Un siècle après Nicolas de Cues, en 1543, le chanoine Nicolas Copernic publia De revolutionibus orbium coelestium (Des révolutions des sphères célestes), œuvre dans laquelle il proposait un système cosmologique dont le Soleil était le centre. La Terre y était animée d’un double mouvement de rotation: autour de notre étoile et sur elle-même selon un axe nord-sud. Loin d’être rejeté, le système fut accepté comme plus élégant que celui de Ptolémée, permettant des calculs simplifiés.

Le système de Copernic, de la main de son hauteur, dans De revolutionibus orbium coelestium

Toutefois, les philosophes et les théologiens le rejetèrent comme représentation de la réalité, en invoquant deux arguments de nature très différents:

  • un argument biblique: au dixième chapitre du livre de Josué, il était écrit que le Soleil et la Lune s’étaient arrêtés: les théologiens y voyaient la preuve que, tout comme la Lune, le Soleil tournait autour de la Terre;
  • un argument physique: si la Terre tournait sur elle-même, on devrait s’en apercevoir de nombreuses façons. En particulier, lorsqu’un jour sans vent on lancerait une flèche à la verticale, elle ne devrait pas retomber sur nous.
    Le modèle de Copernic ne fut donc pas repoussé par obscurantisme, mais pour des raisons qui paraissaient valables.

5.4. L’œuvre d’Andreas Vesalius

Quoi qu’il en soit, l’année 1543 vit également la parution d’un autre livre dont les conséquences seraient considérables, De Humani Corporis Fabrica (La Fabrique du corps humain), du médecin et anatomiste André Vésale. Ce professeur de l’université de Padoue pratiquait la dissection des corps.

Son ouvrage comportait de nombreuses illustrations qui permettaient de comprendre certaines facettes du fonctionnement de l’organisme. Avec cet ouvrage, l’hypothèse de la vie comme phénomène purement physique venait d’émerger.

Une planche de De Humani Corporis Fabrica de André Vésale

Bien qu’en surface rien n’ait changé, le XVIe siècle sema les graines d’une révolution dans la pensée, et ces graines qui germeraient bientôt.

5.5. La tension entre les sciences et l’Église au XVIIe siècle

Au début du XVIIe siècle, l’astronome allemand Johannes Kepler démontra par la mathématique que les planètes gravitaient autour du Soleil en décrivant des trajectoires elliptiques. Il établit trois lois qui caractérisaient leur mouvement, dont celles des aires (l’aire du secteur angulaire balayé par une planète en un temps donné est toujours de la même valeur).

Illustration de la deuxième loi de Kepler, dite « loi des aires »

Avec Kepler, non seulement le système de Coprenic était validé, mais le cosmos devenait intelligible, car doté de lois naturelles exprimables par la mathématique; Dieu n’était donc pas derrière les phénomènes naturels, à commencer par le mouvement des planètes.

Toutefois, l’Église catholique prit le parti de condamner l’héliocentrisme. Le nouveau système cosmologique fut d’abord condamné en la personne de Giordano Bruno: reprenant les travaux de Nicolas de Cues, ce philosophe napolitain soutenait que l’univers était sans limite, que toutes les étoiles étaient des soleils, donc que de nombreuses Terres pouvaient exister. Ainsi, l’Homme n’aurait pas été la préoccupation principale de la Création; peut-être même la Création n’avait-elle aucune préoccupation…

Quoique Giordano Bruno ne fut pas condamné seulement pour avoir défendu l’héliocentrisme (il rejetait plusieurs dogmes centraux dans l’enseignement de l’Église, notamment la divinité du Christ), il n’en demeure pas moins que les idées coperniciennes défendues par le philosophe napolitain figuraient bien parmi celles qui, finalement, lui valurent d’être brûlé vif sur le bûcher de Campo de Fiori.

Seize ans plus tard, en 1616, l’Église condamna explicitement la théorie héliocentriste et plaça l’ouvrage de Copernic à l’Index.

Le XVIIe siècle vit donc les premières tensions graves entre les sciences expérimentales naissantes et l’Église. L’affaire Galilée en est devenue le symbole. Aujourd’hui, on évoque ses démêlées avec l’Inquisition pour avoir soutenu, Bible en main, que la Terre tournait réellement; mais ses observations eurent d’autres conséquences majeures: en utilisant un outil nouveau, la lunette astronomique, il démontra l’inexistence de la sphère sur laquelle les étoiles auraient été fixées.

L’observation permettait de conclure que ces astres se trouvaient à des distances très grandes et très différentes les unes des autres. Cette découverte ayant remis en cause les enseignements d’Aristote, les nouveaux philosophes de la nature jugèrent que les observations devraient désormais primer sur les autorités anciennes. Par ailleurs, cette découverte fit émerger la conviction d’un univers bien plus étendu que celui présenté par la Bible.

Enfin, Galilée prouva que sur Terre, la chute des corps obéissait à une loi purement mathématique (la hauteur de chute est proportionnelle au carré du temps de chute). Kepler ayant démontré que le mouvement des planètes était, lui aussi, gémi par des lois naturelles, René Descartes fonda la physique mécaniste, selon laquelle la réalité s’expliquait par des relations de cause à effet, sans intervention divine.

Dieu était la cause initiale: Il avait créé une immense machinerie et lui avait donné la première impulsion; mais c’était tout, et depuis lors, cette machinerie fonctionnait seule, selon des lois naturelles, des causes provoquant des effets prévisibles.

5.6. Une révolution dans la pensée des classes instruites

Le XVIIe siècle connut donc une révolution dans la pensée des classes instruites: le rôle de Dieu recula considérablement. Certes, cette révolution ne concerna tout d’abord qu’une minorité.

En 1660, le développement très rapide des sciences expérimentales entraîna la création, en Angleterre, de la Royal Society, dont Robert Hooke, qui avait assisté le Robert Boyle, découvreur de la loi de dilation des gaz, fut nommé responsable des expériences. Cinq ans plus tard, il publia un ouvrage qui exposait ses observations réalisées à l’aide d’un microscope.

Après avoir commencé l’exploration de l’infiniment grand, la science entreprenait donc la découverte de l’infiniment petit. Ainsi allait-elle révéler un monde bien plus étendu et bien plus complexe qu’on ne l’avait cru, un monde totalement étranger à la Bible…

5.7. Les idées neuves se répandent

Soucieuse de ne pas prendre du retard et de préserver son rayonnement intellectuel, la France créa en 1666 l’Académie royale des sciences. Celle-ci publierait le Journal des Savants, qui rendrait compte des découvertes auprès du grand public. Cet organe contribua à la diffusion des pensées nouvelles qui, jusqu’alors, étaient restées confinées dans des cercles restreints.

En 1667 fut fondé l’Observatoire de Paris. Vingt ans plus tard, Isaac Newton publia Philosophiæ naturalis principia mathematica (dans sa version française: Principes mathématiques de la philosophie naturelle), livre dans lequel il exposait notamment la loi de la gravitation universelle: deux objets quelconques s’attirent selon une force réciproque proportionnelle au produit de leur masse et à l’inverse du carré de leur distance. Cette loi unifiait la chute des corps sur la Terre et le mouvement des astres dans le ciel.

Expression mathématique de la loi universelle de la gravitation selon Newton, avec G la constante gravitationnelle

Newton et Descartes contribuèrent à propager l’idée d’un univers-machine au sein duquel les phénomènes naturels n’avaient aucun objectif ultime, mais résultaient de lois et n’étaient que les conséquences de causes antérieures.

À ceux qui invoquaient un Dieu comme cause première, certains répondaient que si l’univers était éternel, alors il n’y avait plus besoin d’un Créateur transcendant. Les progrès de l’athéisme au XVIIe siècle n’étaient donc pas dus à une action maçonnique souterraine, mais à l’évolution naturelle de la pensée.

Suite: 5e partie.