Peter Rushton: « L’affaire Reynouard en suspens » (2/3)

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La première partie de ce compte-rendu se trouve ici.


La plaidoirie de Maître Mackintosh

Maître Mackintosh, après avoir établi la caducité du premier mandat d’arrêt, s’attaqua au second.

Ce second mandat concerne des affaires qui n’ont pas encore fait l’objet de condamnations. Dès lors, la liste “cochez la case” de 23 crimes et délits du mandat d’arrêt européen d’autrefois (qui, post-Brexit, existe toujours sous une forme modifiée) ne s’y applique pas1.

Maître Mackintosh commença sa plaidoirie en signalant que le principe traditionnel de la double incrimination pour justifier une extradition s’appliquait dans le cas présent.

En d’autres termes, le tribunal d’Édimbourg doit donc être convaincu que les faits reprochés à Vincent en France constitueraient également une potentielle infraction en Écosse.

Maître Mackintosh a également expliqué que le juge doit déduire les motivations de Vincent non pas en acceptant simplement les interprétations que donne l’Accusation de quelques phrases hors contexte, mais en examinant la conduite de l’inculpé en général et en étudiant dans leur entièreté les transcriptions de ses vidéos.

Maître Mackintosh a souligné que le juge doit étudier avec une attention toute particulière la traduction complète de la vidéo intitulée: « Problème juif: quelle solution? » publiée le 22 février 2020, sur laquelle repose en grande partie le dossier de l’Accusation.

L’avocat de Vincent n’a pas contesté que les vidéos de l’inculpé incluent des éléments qu’il a qualifiés de « négationnistes », que certaines traitent de la « question juive », et qu’une en particulier « nie » l’historicité du « massacre d’Oradour ».

Le Royaume-Uni n’a pas choisi de faire de la « négation de l’Holocauste », sous quelque forme qu’elle puisse prendre, une infraction.

Maître Mackintosh entama ensuite le cœur de sa plaidoirie en faveur de la non-extradition de Vincent, en s’appuyant sur un jugement de la Cour européenne des Droits de l’homme de 2015 dans l’affaire Perinçek c. Suisse.

Ce jugement (qui concerne un activiste turc qui « niait » le génocide arménien commis par l’Empire ottoman pendant la Première Guerre mondiale) est pertinent en ce que la Cour européenne y détaille les lois disparates promulguées dans les différents pays européens à l’égard de la « négation » d’un génocide.

Parmi les États européens qui ont ratifié la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour a relevé:

il existe aujourd’hui dans ce domaine parmi les Hautes Parties contractantes grosso modo quatre types de régimes, en fonction de la portée de l’infraction de négation de génocide :

a) les États comme l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, la France, les Pays-Bas et la Roumanie, qui ne criminalisent que la négation de l’Holocauste ou plus généralement des crimes nazis (la Roumanie de plus réprime l’extermination des Roms par les nazis, et la Grèce, outre l’Holocauste et les crimes nazis, réprime la négation des génocides reconnus par un tribunal international ou par son propre Parlement);

b) les États comme la Pologne et la République tchèque, qui criminalisent la négation des crimes nazis et communistes;

c) les États comme Andorre, Chypre, l’ex-République yougoslave de Macédoine, la Hongrie, la Lettonie, le Liechtenstein, la Lituanie, le Luxembourg, Malte, la Slovaquie, la Slovénie et la Suisse, qui criminalisent la négation de tout génocide (la Lituanie réprime expressément aussi la négation des crimes commis par les Soviétiques et les nazis contre les Lituaniens, tandis que Chypre ne réprime que la négation des génocides reconnus comme tels par une juridiction compétente); et

d) les États comme l’Espagne (à la suite de l’arrêt rendu en 2007 par son Tribunal constitutionnel, cité au paragraphe 96 ci-dessus), la Finlande, l’Italie, le Royaume-Uni et les États scandinaves, qui n’ont aucune disposition expresse réprimant pareil comportement.

Perinçek c. Suisse, Requête n° 27510/08, §99, CEDH, 15.X.2015

La Cour européenne des droits de l’homme affirme donc clairement que le Royaume-Uni n’a pas choisi de faire de la « négation de l’Holocauste », sous quelque forme qu’elle puisse prendre, une infraction.

Maître Mackintosh affirma qu’en conséquence, pour obtenir l’extradition du prévenu, l’Accusation devra prouver au tribunal écossais que la conduite de Vincent (telle que décrite dans le mandat d’extradition) constitue ou bien une infraction telle que décrite à la section 127 du Commutation Act de 2003, ou bien un trouble à l’ordre public (infraction de droit commun).

Les propos de M. Reynouard constituent-ils un trouble à l’ordre public en droit écossais?

La question de ce que constitue un « trouble à l’ordre public » d’après la loi écossaise a été abordée à de multiples reprises au cours de dernières décennies, et c’est un domaine dans lequel Maître Mackintosh possède une expertise certaine, puisqu’il a rédigé un article précisément à ce sujet pour le Scottish Legal News.

Du point de vue du droit écossais, un comportement ne constitue un trouble à l’ordre public qu’à condition d’être suffisamment grave pour « alarmer des personnes ordinaires » et de « menacer de perturber gravement la communauté ». Cette définition est appuyée par le jugement rendu en 2014 par Lady Clark de Calton. Maître Mackintosh indiqua que Lady Clark de Calton avait rappelé aux tribunaux de première instance que:

Pour qu’un comportement soit susceptible d’effrayer ou d’alarmer une personne raisonnable, il faut qu’il soit plus qu’une cause d’agacement et de désarroi.

Maître Mackintosh expliqua que, pour déterminer si un comportement « menace de perturber gravement la communauté », il est nécessaire de considérer le contexte dans son ensemble. Il cita alors plusieurs décisions de justice écossaises rendues dans le cadre de procès pour injures à caractères raciales ou sectaires prononcées lors de rencontres de football. Dans ces affaires, l’élément crucial résidait dans le fait que l’injure avait été proférée face à (ou à proximité) des supporteurs de l’équipe adversaire, dans la situation tendue d’une rencontre de football à laquelle assistaient des supporteurs d’équipes opposées.

Il est essentiel d’évaluer le contexte général dans lequel les propos ont été tenus.

Lors du procès du militant communiste Mike Duffield, en 1981, le tribunal avait estimé que scander des slogans pro-IRA tout en vendant le journal marxiste Fight Racism Fight Imperialism et le journal pro-IRA Hands Off Ireland constituait un trouble à l’ordre public, quoique les faits aient eu lieu au stade de Glasgow du Celtic FC, dont beaucoup des supporteurs partageaient les idées de l’inculpé.

À l’autre extrême du spectre politique, un militant du National Front a été mis en procès pour trouble à l’ordre, pour avoir vendu le Bulldog, journal de la section jeunesse du parti, au stade d’Édimbourg des Hearts.

Toutefois, dans chacun de ces cas, il était essentiel d’évaluer le contexte général dans lequel les propos avaient été tenus (dans le cas de Vincent, ce contexte est celui de propos tenus dans des vidéos publiées sur Internet). L’évaluation du contexte est devenue plus cruciale encore depuis les récentes clarifications de la loi écossaise.

Le mandat d’arrêt de la Justice française incrimine huit vidéos. La première est dédiée spécifiquement à Oradour. La deuxième, la troisième, la quatrième détaillent les arguments qui, d’après Vincent, démontrent l’absence de chambres à gaz homicides à Auschwitz et le caractère fallacieux des preuves qui fondent le récit orthodoxe de l’Holocauste. La cinquième et la sixième discutent de la « question juive ». La septième et la huitième traitent à nouveau d’Auschwitz, des chambres à gaz et de l’Holocauste en général.

Dès lors, pour être répréhensibles et constituer un trouble à l’ordre public, les propos de Vincent doivent être plus que simplement « négationnistes ».

Maître Mackintosh souligna que dans le cas de six des huit vidéos, Vincent Reynouard n’a pas appelé à agir d’une quelconque manière que ce soit. Aucun propos ne peut être potentiellement qualifié d’injurieux, et pas un seul ne peut être considéré comme « menaçant ». Ces vidéos relèvent de la critique historique, critique certes controversée, mais légale en Écosse.

Dans le cas des vidéos 5 et 5, Vinent répondait à un correspondant. L’Accusation a choisi d’en extraire certaines phrases et de les citer hors contexte. Cependant, Maître Mackintosh a rétorqué que, remises dans leur contexte, ces paroles démontraient clairement l’opposition de Vincent à toute politique d’ »extermination » des Juifs.

Le tribunal ne doit pas déterminer si une « personne raisonnable » rejetterait ou non les opinions de Vincent, mais si ces opinions menacent de « perturber gravement la société ». Dans le cas où le tribunal accepterait l’argumentaire de l’Accusation, son jugement créerait une jurisprudence qui criminaliserait tout débat contradictoire sur l’Holocauste au Royaume-Uni. Maître Mackintosh indiqua que les Parlements de Londres et d’Édimbourg avaient la possibilité de faire de la négation de l’Holocauste un délit, mai qu’ils avaient choisi de n’en rien faire (jusqu’à présent).

Dès lors, pour être répréhensibles et constituer un trouble à l’ordre public, les propos de Vincent doivent être plus que simplement « négationnistes ».

Les propos de M. Reynouard sont-ils grossièrement offensants?

Maître Mackintosh se pencha alors sur l’autre possible motif d’inculpation: la section 127 du Commutation Act de 2003. Pour qu’elles constituent une infraction telle que décrite à la section 127 du Commutation Act de 2003, les vidéos de Vincent ne doivent pas être simplement jugées offensantes, mais « grossièrement offensantes ».

L’Accusation a fondé la majeure partie de son argumentaire sur le précédent posé par l’affaire Chabloz, telle qu’elle fut jugée par les tribunaux de Londres ces dernières années. Quoique non contraignant, ce précédent constitue, d’après le procureur, une jurisprudence tout à fait pertinente pour juger le cas de M. Reynouard2.

Vincent expose ses idées (aussi controversées soient-elles) à la façon de placides analyses académiques, et non dans le style des injures violemment antisémites de Chabloz.

En Appel, les juges avaient constaté que la conduite de Chabloz allait au-delà de la simple satire et constituait une injure vicieuse et délibérée. Maître Mackintosh affirma que, dans la présente affaire en revanche, le juge devrait remarquer (s’il examine les transcriptions des vidéos dans leur intégralité) que Vincent expose ses idées (aussi controversées soient-elles) à la façon de placides analyses académiques, et non dans le style des injures violemment antisémites de Chabloz.

Maître Mackintosh se référa au jugement de rendu par Lord Binghan dans le cadre de l’affaire Collins, cas emblématique pour l’interprétation de ce qui est « grossièrement offensant » d’après la section 127.

Ledit jugement stipule que le caractère « grossièrement offensant » doit être établi d’après les « critères contemporains, raisonnablement avisés, mais non perfectionnistes, d’une société ouverte, juste et multiraciale ».

Maître Mackintosh expliqua qu’en conséquence, les propos inculpés devaient être perçus comme excessivement injurieux non seulement par les personnes qui se sentent concernées l’Holocauste et dont les opinions, pour quelque raison que ce soit, divergent de celles de Vincent, mais également par la société en générale.

Si la « négation de l’Holocauste » et le débat sur l »historié du massacre d’Oradour devaient être jugés délictueux per se, la question du traitement à accorder au massacre d’Amritsar, au génocide arménien et à beaucoup d’autres questions d’histoire controversées se poserait inévitablement.

Maître Mackintosh conclut sa plaidoirie en abordant la question de la proportionnalité. Un tribunal statuant sur une extradition est tenu d’examiner si les faits incriminés sont suffisamment graves pour mériter une peine de prison ferme. Par exemple, les tribunaux de première instance ont récemment reçu par instruction que les inculpés ne devaient pas être extradés pour des troubles à l’ordre public mineurs.

Maître Mackintosh fit également remarquer que, même dans le cas Chabloz où le prévenu avait été reconnu coupable de conduite grossièrement outrageante (conduite qui diffère radicalement de celle de Vincent), aucune peine de prison n’avait été prononcée. Dès lors, il serait illégal et disproportionné de la part du tribunal d’Édimbourg d’extrader Vince Reynouard vers la France.

  1. Pour rappel, dans le mandat d’arrêt européen, il existe une section contenant une liste de 23 crimes et délits qui font l’objet d’accords d’extradition entre les pays européens. Ainsi, si l’une des 23 cases de cette liste est cochée, l’extradition de l’inculpé s’en trouve accélérée, car la double incrimination n’a pas besoin d’être établie. ↩︎
  2. À l’époque du procès d’Alison Chabloz, Peter Rushton avait prédit que la stratégie de la chanteuse poserait un précédent qui menacerait la liberté de Vincent Reynouard (article en anglais). Feu l’Agence Bocage avait fait les mêmes prédictions dans son article: “L’affaire Chabloz: entre stratégie problématique et danger réel”. ↩︎