Il y a 80 ans jour pour jour, L’Œuvre publiait le témoignage d’un parisien qui avait vécu, en juin 1940, l’entrée des Allemands dans Paris. René Guérin –c’est son nom–, notait les choses vues sur un carnet personnel.
Il décrit la panique croissante de nombreux Parisiens qui, depuis le 10 juin, fuyaient de peur d’être massacrés par les ‘nazis’. Au 13 juin, il note: « L’exode se poursuit, de plus en plus lamentable. Des avions allemands, à faible hauteur, observent cela sans tirer, ce qui surprend beaucoup de gens1. » Mais ce fait ne suffit pas pour calmer les esprits. Pendant la nuit, les Allemands pénètrent dans la capitale. Au matin : « Des commères en délire répandent les bruits les plus effrayants.2 » Sceptique, René Guérin part dans les rues afin de vérifier. Que voit-il? Des Allemands qui se reposent:
Quelques-uns achètent des cartes postales, ou vont boire dans les bistrots. Une marchande pousse sa voiture chargée de bananes; mais ces grands enfants du Nord n’en ont sans doute jamais vu; c’est seulement après avoir vu un Français en acheter une et la manger qu’ils se risquent à en faire autant; en cinq minutes, la poussette est débarrassée3.
La journée se passe sans incident: « Les Allemands sont d’une correction parfaite, et paraissent gênés de voir tant de visages fermés4. »
Le 15: « Les Allemands, en grand nombre, sont au repos, visitent la ville, boivent aux terrasses. Les cafés rouvrent en grand nombre […] Pas encore de fraternisation; à quelques exceptions près, les Français restent distants5. » Malgré cela, « les Parisiens sont ahuris de n’avoir pas été dévorés tout crus6« .
[Des fuyard] qui reviennent racontent qu’ils ont été rattrapés [par des Allemands] au sud de la ville, qu’on leur a dit de rentrer chez eux sans crainte, qu’on a même fourni de l’essence aux autos en panne. Beaucoup commencent seulement à comprendre à quel point ils ont été trompés: « On nous avait pourtant bien dit que les Allemands crevaient de faim, et n’avaient pas d’essence, ni de caoutchouc, ni de cuir! Que nous vaincrions, parce que nous étions les plus forts! Etc, etc. » En quarante-huit heures, une véritable révolution s’est faite dans les esprits7.
Le 16: « Les Allemands sont de plus en plus nombreux dans Paris. Rapports entre eux et la population toujours corrects et dignes8. »
Le 17, les premières conversations s’engagent et se prolongent entre Allemands et Français.
Le 23, René Guérin note: « Par leur ordre, leur correction, les troupes allemandes font véritablement l’admiration de Paris9. »