Pourquoi je suis judéo-indifférent. 3: “Vous ne pouvez servir Dieu et Mammon”

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Dans ce troisième article de la série Pourquoi je suis judéo-indifférent, Vincent Reynouard explique comment, à partir du XVIIIe siècle, la haute société européenne, séduite par le matérialisme, s’écarta de la religion, justifiant son agnosticisme à l’aide de la critique biblique et des progrès scientifiques.


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La haute société chrétienne d’Europe succombe au matérialisme

Début 1891, Albert de Mun affirma:

Le siècle qui s’achève n’emporte pas seulement avec lui l’histoire écoulée d’un cycle de cent années, il marque dans ses dernières heures l’irrémédiable déclin d’une doctrine déchue et d’un système épuisé.

C’est le siècle de l’individualisme qui s’écroule en ruines, avec la conception sociale et l’organisation politique qui furent son expression, la toute-puissance de la richesse et le pouvoir absolu de la bourgeoisie matérialiste 1

Cette affirmation comportait une vérité et une erreur.

La vérité d’abord: oui, le XIXe siècle fut le règne de la « bourgeoisie matérialiste ». Or, cette bourgeoisie était principalement issue des milieux chrétiens. Preuve que la foi s’était refroidie.

Ce refroidissement, certains l’imputaient à l’action concertée des Juifs des francs-maçons et des protestants pour détruire l’Église. Sans nier cette action, en 1901, un ardent défenseur du catholicisme, l’abbé Gayraud, écrivit:

Reste à savoir si francs-maçons et protestants, comme plusieurs le prétendent, sont aux ordres, d’aucuns disent à la solde d’Israël, et s’il existe une conspiration juive contre l’Église et contre la France. La preuve n’en est pas faite, et je ne le crois pas.

[…] que les juifs aient fourni un bon appoint à l’anticléricalisme français, après avoir pris une grande part au Kulturkampf germanique, ce n’est pas niable, et le rôle de leurs journaux en est la preuve manifeste.

Mais, à mon sens, tout cela s’explique sans recourir à l’hypothèse d’un plan savamment ourdi et d’un pacte conclu au préalable dans un but déterminé de ruiner le catholicisme et d’effacer la France du rang des nations.

Il suffit, ce me semble, de considérer que tous, juifs, protestants et francs-maçons, ont un intérêt commun à faire la guerre au catholicisme et des raisons communes de renverser l’Église romaine, qui est pour eux tous l’irréconciliable ennemie.

De là procèdent leurs actions anticléricales concordantes et parallèles, ainsi que les conséquences antireligieuses, anticatholiques, que l’on tire de la funeste affaire Dreyfus.

La coalition de ces trois anticléricalismes, est-ce toute l’explication de la guerre que les pouvoirs publics font au catholicisme chez nous? Je ne le pense pas; à mon avis, l’explication n’est pas suffisante, elle n’est pas complète.

Il faudrait, d’une part, expliquer l’origine, la persistance et le succès de l’anticléricalisme dans la nation tout entière, à quoi la coalition dont je viens de parler ne suffirait pas; et, d’autre part, rechercher les raisons premières de la conspiration antichrétienne2.

L’abbé Gayraud posait la question essentielle: comment « expliquer l’origine, la persistance et le succès de l’anticléricalisme dans la nation tout entière »?

L’abbé Henri Delassus l’imputait à une « conjuration antichrétienne » dont la principale facette était « l’américanisme »: « c’est un ensemble de tendances doctrinales et pratiques qui ont leur foyer en Amérique, et qui de là se répandent dans le monde chrétien et particulièrement chez nous3. »

Sans doute, mais, là encore, pourquoi l’américanisme trouvait-il, chez nous, un terreau bénéfique? Parce que, depuis un siècle au moins, la foi traditionnelle avait considérablement reculé face à la science.

La science pour contrer la religion

Des catholiques clairvoyants le reconnaissaient. Dans un sermon prononcé vers 1850, l’Archevêque de Paris, Mgr Sibour, rappela: « comment, hélas! au dix-huitième siècle, la révolte insensée de la Science contre la Religion avait obscurci tant d’intelligences, perverti tant de cœurs4. »

Il faut dire que le mal remontait loin. En 1672, décrivant la situation du christianisme dans la société, un jésuite français s’était lamenté:

il n’y eut jamais moins de véritables chrétiens. La mollesse du siècle, le luxe, la corruption des mœurs ont tellement effacé dans nos cœurs les traits de cet auguste caractère qu’il n’y en reste presque plus aucune trace5.

C’était l’époque où la critique biblique, élaborée par les philosophes, commençait à exercer des ravages au sein de la société7

Plus tard, Monseigneur Baunard, admit qu’au XVIIIe siècle, le combat pour la Foi avait été malhabile:

Démonstration et défense de la religion avaient été faibles au XVIIIe siècle. Qu’est-ce que Bergier, Nonotte, Guénée, Feller, et même plus tard La Luzerne, en face de Rousseau, de Voltaire, de Diderot, de d’Alembert, de Condorcet et de la coalition de l’Encyclopédie?

Il est triste d’avoir à reconnaître que, dans presque tout ce XVIIIe siècle, la philosophie antichrétienne, hélas! a presque seule les honneurs de la guerre8.

Dans un autre texte, cet évêque souligna:

l’Église a perdu le sceptre des intelligences, jadis porté par elle si magistralement, alors qu’au moyen âge elle était en possession souveraine de la science totale de ce temps.

Or il est à remarquer que le jour où ce sceptre commença à glisser de ses mains fut le jour où, au XVIe siècle, au lieu de prendre la tête du mouvement scientifique provoqué par la méthode expérimentale de Bacon, elle se confina exclusivement dans la spéculation, délaissant ou à peu près les sciences d’observation, lesquelles, s’émancipant alors de sa tutelle, s’avancèrent à grands pas, sans elle et bientôt contre elle, à la conquête du monde moderne qui leur appartint désormais sans réserve9.

Vingt-cinq ans plus tôt, John Wiliam Draper avait prévenu:

Quiconque connaît la situation intellectuelle des classes éclairées en Europe et en Amérique, sait qu’elles s’éloignent chaque jour davantage des croyances religieuses établies, et que, si quelques hommes seulement accusent leur divergence, des masses considérables opèrent leur scission en silence et en secret10.

L’auteur écrivait cela dans un livre intitulé: Les conflits de la science et de la religion. Il expliquait que les progrès de la science expérimentale étaient les premiers responsables du recul du religieux.

Je rappelle par exemple que dans son ouvrage L’Homme machine publié peu avant 1750, Julien de La Mettrie avait écrit: « Les divers états de l’âme sont donc toujours corrélatifs à ceux du corps11« . C’était déjà contester l’existence de l’âme en tant qu’entité spirituelle, ce qui impliquait le rejet de toutes les croyances religieuses occidentales.

Fin 1883, un défenseur zélé du catholicisme, Monseigneur d’Hulst, confirma la responsabilité du scientisme dans le recul de la Foi. Parlant des ennemis de l’Église, il lança:

Ils se sont fait de la science contre l’Église et contre l’enseignement chrétien une arme redoutable, qui leur a permis de tromper et de pervertir les masses.

L’histoire et les sciences physiques en particulier leur ont servi pour calomnier le catholicisme dans le passé et pour ébranler ses croyances dans le présent12.

Vingt ans plus tard, en 1903, l’organe catholique Foi & Vie se désola:

On sait que l’athéisme est en train de devenir la religion […] dominante en France […] Le raisonnement est simple: le XXe siècle est le siècle de la science: la science est contre la religion — donc le XXe siècle est et sera contre la religion13.

À l’époque où la science matérialiste était considérée comme seul accès au réel, c’était vrai. Mais depuis le développement de la physique quantique (avec le principe d’incertitude, l’indéterminisme irréductible et le théorème de Gödel), la situation s’est modifiée fondamentalement14.

Début 2007, le scientifique Trinh Xuan Thuan souligna:

Incertitude, indétermination, imprédictibilité, incomplétude, indécidabilité: la science sait désormais qu’elle ne peut pas tout savoir.

Pour aller jusqu’au bout du chemin et accéder à la réalité ultime, il nous faut faire appel à d’autres modes de connaissance, comme l’intuition mystique ou spirituelle, informés et illuminés par les découvertes de la science moderne.

La science et la spiritualité sont deux fenêtres complémentaires qui permettent à l’homme d’appréhender le réel15.

Cela dit, j’en reviens au XIXe siècle, lorsque le scientisme triomphant avait bousculé la religion. En 1906, Gabriel Séailles souligna:

L’illusion est grande de croire que l’affaiblissement des croyances religieuses est un accident, qu’il s’explique par la malfaisance des impies, par la corruption du siècle; il tient à l’évolution même et au progrès de la pensée moderne, il en est la conséquence nécessaire.

[…] l’Église n’est plus ce qu’elle fut […] L’art, la science et la morale se développent en dehors d’elle […] les esprits lui échappent. Elle s’en étonne, elle s’indigne, elle accuse les philosophes, les libres penseurs, les francs-maçons, Voltaire et Rousseau; elle se trompe, elle est mieux organisée, elle est plus forte, elle est plus riche que ses ennemis, mais quelque chose combat avec eux qu’elle ne peut supprimer.

Les dogmes ne sont pas détruits par la critique négative, par les pamphlets, par les plaisanteries des impies, ils sont supprimés par des vérités positives qui ne se concilient pas avec eux, qui ne pénètrent dans l’esprit qu’en les en chassant. Ils ne répondent plus à la conception que nous avons de l’univers et de ses lois; on ne les nie pas, on les ignore16.