Pourquoi je suis judéo-indifférent. 4: Catholiques pratiquants mais non croyants

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Dans ce quatrième article de la série Pourquoi je suis judéo-indifférent, Vincent Reynouard dresse un portrait de l’Église catholique de France au XIXe siècle. Les constats qu’il établit l’amènent à conclure que la chrétienté française n’a pas été victime d’un complot judéomaçonnique, mais de sa propre faiblesse et de son apathie.


Voici les liens vers les précédents articles de cette série:
– première partie;
– deuxième partie;
– troisième partie.

Des appels à se resaisir qui restèrent sans écho

Il en résultait une tiédeur extrême au sein des milieux catholiques. Vers 1860, un curé turinois avait écrit:

Je déclare pour mon compte et d’après mon expérience que le nombre des vrais catholiques va diminuant à Turin, dans des proportions effrayantes; que l’indifférentisme religieux, sous le nom de civilisation française, se propage dans toutes les classes, hautes, basses et moyennes; que le nombre des personnes qui abandonnent depuis plusieurs années la communion pascale et toutes les pratiques du catholicisme est incalculable […]

Les églises sont, il est vrai, à certains jours, pleins de gens qui entendent encore une messe, mais qu’est-ce que cela avec la profonde ignorance où l’on est du dogme catholique et avec le dérèglement général des mœurs?1

L’auteur qui reproduisait cette lettre ajoutait: « Ce que le curé piémontais dit de Turin, on peut le dire de toutes les nations catholiques: l’incrédulité règne partout sous l’apparence du catholicisme2. »

D’où l’apathie des milieux catholiques français. En 1857, un défenseur de la Foi se lamenta:

Nous souffrons, nous sommes comme impuissants, nous mourons, parce que nous nous traînons dans les voies mortes du monde, parce que, au lieu de voler, nous restons dans le terre à terre des âmes engourdies et habituées à se contenter du présent.

Les catholiques n’avancent pas, ou n’avancent que très peu, parce qu’il semble que nous ne voulions du salut que chacun pour nous, chacun chez nous. Où sont les chrétiens d’une même ville, seulement d’une même paroisse, qui se connaissent, qui se recherchent, qui se voient, qui se portent à une sainte émulation?

Nous demeurons tous dans notre isolement (heureux encore si nous n’étions que comme des étrangers vis-à-vis les uns des autres!) et l’on s’étonnerait des progrès de l’impiété ! Ah ! unissons-nous donc, prions, espérons, soyons un, et Jésus et Marie viendront nous donner le triomphe3.

L’appel ne fut pas entendu, y compris lorsque, à partir des années 1880, la République mena une offensive antireligieuse. Début 1881, face aux premières lois qui laïcisaient l’enseignement, un quotidien lança:

Ce qui serait plus monstrueux que ces lois dictées par la franc-maçonnerie, ce serait l’indifférence et l’apathie des catholiques, qu’elles mettent hors la loi, auxquelles elles ôtent la liberté la plus sacrée, celle d’élever leurs enfants conformément à leurs croyances.

Il n’est que temps de se réveiller et de faire un énergique appel au bon sens public, à la conscience des parents et à la sagesse quelque peu problématique du Sénat. Pour que la haute assemblée reprenne courage et se mette en travers du torrent, il faut qu’elle se sente appuyée par tout ce qu’il y a d’honnête dans le pays4.

L’appel resta sans écho.

Si vraiment les trente-cinq millions de catholiques français avaient été munis, pour rendre les mots de saint Paul, du ceinturon de la vérité, de la cuirasse, de la justice, du bouclier de la foi, du casque du salut et le glaive de l’Esprit, ni les Juifs, ni les franc-maçons, ni aucun groupe antichrétien n’auraient eu raison de la chrétienté française.
(Illustration de Achille Lemot, Le Pèlerin, 12 octobre 1902).

Fin 1892, alors que l’offensive républicaine se développait, un organe catholique lança:

Nous sommes plus de trente-cinq millions de catholiques et nous laisserions à une infime minorité le soin de régenter nos familles, le droit d’instruire nos enfants contrairement aux principes de la morale chrétienne qui a été le guide de notre enfance.

Non, non, sortons bien vite d’une apathie coupable; serrons nos rangs, et comprenons qu’au bout de toutes les mesures déjà prises contre nous et en partie exécutées, il y a l’anéantissement de notre Religion, de la Famille, et par suite, l’abaissement de notre chère Patrie!5

Mais là encore, l’appel resta vain.

Une chrétienté déjà gangrenée

En 1903, un prêtre dénonça la frilosité, voire l’égoïsme des catholiques:

Un des grands maux de l’Église en notre temps, la cause principale de sa faiblesse dans les batailles de l’heure présente, c’est l’apathie de beaucoup de catholiques.

Leur erreur est de croire que, dans l’ordre religieux, ils ont à s’occuper seulement de leur salut personnel: dès lors qu’ils ont fait leur prière chaque jour, entendu la messe chaque dimanche, communié à Pâques, à leur sens tout est dit, et ils sont quittes envers leur conscience et envers Dieu.

Leur vie s’organise de telle sorte que le devoir apostolique n’y tient aucune place, et qu’ils n’accordent à leur foi menacée, combattue, traînée de tribunal en tribunal, d’autre secours réel que le secours peu décisif de leurs gémissements.

Certes, c’est un secours que nombre de catholiques ne lui marchandent pas, et on peut croire que jamais, même à l’époque des pires persécutions, on n’a gémi autant […] mais pourvu que leurs terres soient données à de bons fermiers, que la grêle épargne leurs champs, que le phylloxéra ne prenne pas leurs vignes, qu’on ne convertisse pas la rente et que le prix des loyers se maintienne, ils sont, au fond, les plus tranquilles des hommes; ils ne font pas une démarche, ils ne remuent pas le petit doigt pour empêcher une injustice sociale ou accomplir une œuvre d’apostolat.

Cette attitude a été le principe de la plupart des malheurs que nous avons eu à pleurer, et elle peut en produire de plus irréparables encore6.

Les craintes de l’abbé étaient justifiées: en 1905, la République put voter, sans être renversée, la loi de séparation de l’Église et de l’État. Trois ans plus tard, un auteur catholique souligna:

D’où vient ce succès de la Franc-Maçonnerie? Vous n’avez pas résolu la question quand vous dites qu’il tient à ce qu’elle a le pouvoir entre ses mains; car il reste à expliquer comment elle l’a conquis.

Sans doute aussi à son organisation forte et savante, à ses moyens d’action, à la merveilleuse habileté de ses chefs… Mais la société qu’elle combat, l’Église catholique ne lui cède en rien sur ces points: c’est Dieu qui l’a constituée et organisée, et aujourd’hui ceux qui la dirigent ont au moins, pour le bien, le zèle et l’ardeur que les suppôts du démon ont pour le mal…

Mettons encore, si vous voulez, qu’elle ait pour elle le mystère dont elle s’entoure, le nombre et l’influence de ses membres, députés, ministres, présidents de Républiques et rois ou empereurs.

Sans doute c’est un avantage de marcher dans l’ombre, de cacher ses desseins, même à ceux qu’elle charge de les exécuter; sans doute aussi, les francs-maçons sont très riches (les pauvres en sont exclus), très puissants; mais l’Église ne peut que gagner à être connue, mais les maçons ne constituent qu’une infime minorité en France (30.000 environ).

Il serait tout de même aisé aux catholiques de s’en débarrasser, s’ils le voulaient […] Habileté, hypocrisie, influence et argent constituent de puissants moyens, mais ne suffisent pas à expliquer complètement le succès de la Maçonnerie.

La grande cause, on pourrait presque dire l’unique cause de la puissance à laquelle elle est parvenue, se trouve dans les complicités qu’elle rencontre en dehors des Loges. Tous, ou presque tous, nous la secondons, nous qui sommes de tièdes catholiques ou des indifférents7.