Hier soir, en attendant une élève, je parcourais mon journal de prison.
J’y ai redécouvert cette anecdote: c’était fin septembre 2010 à la maison d’arrêt de Valenciennes. Un jeune condamné venait d’arriver. Il devait avoir 18 ou 19 ans. Au moment de la promenade, dans les rangs, il prétendit avoir été condamné à deux ans de prison ferme pour un vol de scooter. Deux ans pour un simple vol? De façon évidente, il mentait: soit sur la gravité de son affaire, soit sur la peine. Mais qu’importe. Car après avoir raconté son histoire, il termina en lançant : « De toutes façons, je suis innocent!«
Un éclat de rire général retentit alors. Sourire au lèvres, un grand Arabe dit: « Mais… on est tous innocents ici! » Un autre l’interrogea: « Sais-tu pourquoi la Justice est laxiste avec les vrais coupables? C’est pour ne pas les envoyer prison, car en prison, ils pourraient corrompre tous les innocents qui y sont! » Nouveaux éclats de rire!
Une fois dans la cour, le jeune se joignit à nous. Assis par terre, on discutait de tout et de rien. Il se lamenta: que faire pendant la promenade? Voyant sa naïveté, un prisonnier lui dit: « Tu n’as pas de chance. Car l’été, c’est plus confortable: la prison met à notre disposition des chaises-longues. » Le jeune ayant gobé, l’autre alla plus loin: « Oui, et les gardiens nous apportent du Coca ou de l’Orangina. Tu n’auras qu’à demander. » Le visage du nouveau s’éclaircit… Je me retenais pour ne pas éclater de rire.
De retour dans ma cellule, je notai cette histoire. J’en riais encore.
Puis je repris la bande-dessinée que je réalisais (l’illustration reproduit une planche). J’avais inventé l’histoire assez facilement, mais peu doué en dessin, la réalisation me prenait du temps. Qu’importe. Je vivais l’histoire en même temps que mon héroïne, que nous avions baptisée Tatiana Marvinova. Je dis « nous » car cette bande-dessinée était le fruit d’un travail à deux: une correspondante de prison et moi. « Marvinova » était contraction de Marguerite et de Vincent, nos deux prénoms.
Sorti le 5 avril 2011, je n’ai jamais terminé l’histoire. Mais pendant mon séjour en prison, cette bande-dessinée m’a permis de… m’évader. Les murs de ma cellule n’existaient plus. J’étais dans mon histoire, dont les horizons étaient infinis, sans entrave.
Oui, en prison, j’ai bien rigolé et je suis resté libre. Car si l’on peut enfermer les corps, aucune grille ne peut retenir l’esprit.
Cette incarcération m’a permis de bien comprendre le principe bouddhique que j’apprendrais plus tard: « Ce n’est pas l’événement extérieur qui compte, c’est la façon dont on y réagit. » Si je m’étais révolté contre mon sort, j’aurais vécu une détention infernale. Mais parce que je l’ai accepté et que je me suis organisé, alors je ne garde que des bons souvenirs de la prison.
D’où mon absence de crainte face à l’avenir pourtant très incertain. Quoi qu’il arrive, je l’accepte d’avance. Dès lors, je sais que je n’en retirerai que du bien…