SC. La fouille de votre cellule, le 10 janvier, a-t-elle connu d’autres suites?
VR. Aucune. Pendant sept jours, mon codétenu et moi avons été privés de sortie du matin. Puis tout est rentré dans l’ordre. Je pense que les autorités écossaises ont agi sur demande de la France, et, une fois la cellule fouillée, elles ont déclaré: «Nous avons fouillé la cellule. Monsieur Reynouard ne détenait rien d’illégal. Point final.»
SC. Le 9 février, la justice écossaise se prononcera sur la demande d’extradition formulée par la France. Êtes-vous confiant?
VR. Je fais confiance, comme toujours, à la Providence. Dès lors, je ne m’inquiète ni de la manière dont je parlerai ni de ce que je dirai. Ce serait en pure perte que je me tracasserai de cette audience, puisque je ne connais rien au droit écossais; mon avocat fait son travail, cela me suffit.
SC. Avez-vous des contacts avec lui?
VR. Il se trouve qu’il est venu me rendre visite, à l’improviste, voilà quelques jours. Il avait des nouvelles à me communiquer.
SC. Des nouvelles encourageantes?
VR. Oui, plutôt encourageantes. Je vous livre ce qu’il m’a expliqué, d’après les notes que j’ai prises durant notre entretien.
« Pour qu’un demande d’extradition soit acceptée, il faut que les faits reprochés aux justiciable constituent également un délit ou un crime dans le pays où réside ce dernier. Si donc la personne s’oppose à son extradition, la justice du pays d’accueil doit examiner le dossier, sauf dans le cas de 23 délits et crimes qui figurent sur une liste prévue par les accords internationaux d’extradition. Parmi ces 23 délits et crimes, figurent, par exemple, le viol, l’incendie criminel, ainsi que le “racisme”.
» La raison d’être de cette liste est simple: a) les délits et crimes qu’elle rassemble sont réprimés dans tous les pays d’Europe; b) la définition desdits délits et crimes ne pose aucun problème. Que ce soit en Angleterre, en Italie ou en Pologne, un incendie criminel est un incendie criminel. Donc, pour ces 23 crimes et délits, l’extradition est automatique, même si le justiciable s’y oppose.
» Dans votre cas, les autorités françaises ont fondé leur demande d’extradition en vous accusant d’un des 23 crimes et délits de la liste: celui de «racisme/xénophobie». Pourquoi ont-elles agi de la sorte? Parce que les faits pour lesquels vous avez été condamné en France, à savoir «négation de l’Holocauste», ne constituent pas un délit au Royaume-Uni, ce qui empêche légalement votre extradition. Dès lors, les autorités françaises tentent de contourner la loi en cochant, dans leur demande d’extradition, la case «racisme/xénophobie».
» Il y a deux ans encore, je n’aurais rien pu faire: la case étant cochée, la Justice écossaise aurait écarté toute discussion. Voilà deux ans toutefois, l’Écosse a reconnu que dans une procédure d’extradition, un État peut se rendre coupable de procédure abusive.
» Je compte donc soulever l’argument suivant: la vidéo pour laquelle vous avez été condamné et qui est décrite dans le mandat d’arrêt correspond à du «négationnisme», et non à du «racisme». Pour m’en assurer, je prévois de demander à la Justice française des précisions sur votre condamnation.
» Lorsque j’ai discuté de tout cela avec le procureur, afin de lui expliquer pourquoi je m’apprêtais à demander un délai supplémentaire, il m’a répondu qu’il comptait formuler la même demande. J’en ai été agréablement surpris, car cela semble indiquer que le procureur (qui n’est pas de votre côté) estime lui aussi qu’il y a un problème…
» La France semble réclamer abusivement un de ses ressortissants qu’elle n’aime pas pour ses opinions; elle le veut à tout prix, pour l’enfermer après lui avoir intenté un procès politique.
» Ça, on peut dire qu’elle vous veut! Et pour parvenir à ses fins, elle semble prête à tout, même à tromper la Justice écossaise. Votre affaire, ici, c’est du jamais vu. J’aime ce genre d’affaires, et j’aime défendre les gens mal-aimés auxquels on intente des procès politiques. Si l’on en revient aux procès politiques, alors il n’y a plus de justice et on peut revenir à l’esclavage. Voilà pourquoi je vous défendrai mordicus.
» Le 9 février, je demanderai un délai. Sachant que le procureur a déjà effectué la même démarche de demande d’infirmations à la France, ma demande sera acceptée. Votre affaire sera jugée en mai ou juin 2023, car elle est très importante. C’est du jamais vu dans ce pays où la liberté d’expression existe, qu’on soit d’accord ou pas avec ce qui est dit.»
SC. Pensez-vous être libéré en mai ou juin?
VR. Si la justice écossaise est indépendante et respectueuse du Droit, alors elle ordonnera ma remise en liberté. Dans le cas contraire, elle me livrera à la France. Ni mon avocat ni moi n’y pourrons quoi que ce soit. Voilà pourquoi je m’en remets à la Providence, sachant qu’elle organise tout au mieux.
SC. Est-ce à dire que vous n’êtes pas préoccupé d’une extradition potentielle vers la France?
VR. Que je sois remis en liberté ou extradé, la Providence m’offrira des opportunités. Dès lors, pourquoi s’inquiéter? Si je me morfondais, je ne pourrais pas profiter de mon séjour à la prison d’Édimbourg, car il faut dire que c’est loin, bien loin d’être le bagne. Ici, on s’occupe de tout pour vous: chauffage, douches propres, repas, linge, sports… tout est inclus.
Pour moi qui déteste m’occuper des choses matérielles, c’est très agréable. Dans les faits, je me considère comme en vacances, sur un navire de croisière: je ne peux certes pas quitter le bâtiment, mais je suis bien à l’intérieur.
Ce sont des vacances que la Providence m’offre en récompense de toutes ces années de travail intensif et de tribulations. Elle a attendu que j’achève l’œuvre de ma vie: mon livre sur Oradour.
SC. Vu ainsi, il est vrai que la Providence vous semble très favorable.
VR. Oui, et je serais ingrat, si je refusais ou critiquais le cadeau qu’Elle m’offre. Ici, je vois tout et tout le monde comme la manifestation de Sa bonté, d’où mon respect envers les choses.
Par exemple, la prison peut vous fournir tout le nécessaire de toilette gratuitement: savon, rasoir, brosse à dents et dentifrice. Certes, ce qu’elle vous donne est l’équivalent des articles premiers prix dans les supermarchés; si vous souhaitez mieux, il faut l’acheter à la cantine. Pour ma part, je reçois mon nécessaire de la prison comme s’il s’agissait d’un cadeau de la Providence, et j’en prends soin, je ne gâche rien.
Dernièrement, lorsque le gardien a vu le petit bout de savon qu’il me restait alors que j’en demandais un nouveau, il a été très surpris, car, m’a-t-il dit, beaucoup de prisonniers jettent leur savonnette après quelques utilisations seulement: c’est gratuit, pourquoi s’en priver? Pour ma part, j’utilise mon savon jusqu’au bout: c’est une façon d’exprimer ma reconnaissance envers la Providence.
De même, je remercie toujours les prisonniers qui nous servent les repas. Un jour, celui qui distribuait les desserts a hésité à me donner une banane, car elles étaient très abîmées. J’ai insisté avec le sourire. Le lendemain, dans le grand hall, je suis venu lui dire que la banane avait été très bonne (ce qui était vrai) et qu’il avait eu raison de me la donner. Cela lui a fait plaisir. Depuis lors, quand j’arrive pour le dessert, il sélectionne vite pour moi, dans le sac, le fruit qui a la meilleure apparence.
Mes remerciements à toute l’équipe me valent également d’être bien servi en soupe (le prisonnier de service prend soin de remplir mon bol à ras bord et me dit: «Voilà, mon ami!») et en légumes. En effet, je suis connu comme le «vegan» (comprenez «végétalien») qui ne fait jamais d’histoire si le menu n’est pas entièrement conforme a son régime. Quand le plat ne me convient pas, je dis avec le sourire: «Pas grave; j’ai mes Weetabix!» Alors, quand le plat me convient, on me sert abondamment en légumes.
Hier, le détenu qui sert la soupe est venu me voir pour me dire qu’il en restait toujours beaucoup après le service: «On la jette; alors sachant que tu es végétalien, si tu m’apportes un récipient, je t’en donnerai plus.» Depuis, je reçois un litre et demi de soupe le midi. Je la garde pour en faire mon souper à 20h, car le dîner (dernier repas de la journée offert par la prison) est servi à 16h.
SC. Et avec les gardiens?
VR. Il en va de même avec eux. Je suis très aimable, toujours poli et souriant. Je les considère comme le personnel du navire de croisière sur lequel la Providence m’a embarqué. Je les respecte donc, et, en échange, ils sont très gentils avec moi, parfois même très proches.
L’un d’entre eux connaît le début de la chanson: «Sur le pont d’Avignon» (un souvenir de classe de français, sans doute); alors, quand il me voit, il la chante, après m’avoir salué en français.
Voilà quelques jours, j’allais à la petite salle de sports de l’étage pour courir. J’étais en short, avec mes chaussettes remontées à mi-mollet. Un gardien m’a vu et m’a lancé: «Vincent, je vais te donner un conseil de mode vestimentaire: tes chaussettes, là, c’est nase! Tu devrais les descendre.» Tout cela avec un fort accent écossais et sur le ton de la rigolade. Je lui ai répondu en souriant: «Mais je suis en Grande-Bretagne!», et j’ai descendu mes chaussettes pour ma course quotidienne sur tapis roulant.
SC. Pouvez-vous faire du sport quotidiennement?
VR. Oui, chaque matin, je cours vingt minutes (je règle le tapis roulant à une vitesse de 12 km/h) et je rame quinze minutes avec une deuxième machine qui se trouve en accès libre à l’étage. L’après-midi, je cours quinze minutes, juste avant d’aller marcher 45 minutes dans la cour de la prison.
En outre, trois fois par semaine, je me rends à la grande salle de sport de la prison. On peut y rester une heure. Elle est équipée comme une salle de gymnastique que l’on trouve en ville, avec une vingtaine de machines très modernes.
Hier, elle a pris livraison d’un engin qui permet de s’entraîner au ski de fond. C’est très physique: il faut « skier » le plus vite possible pendant deux minutes. Les trois moniteurs qui savent que je fais trois fois par semaine 40 minutes de vélo et quinze minutes de rame, m’ont proposé de la tester. J’ai tenu 1 min 20 s avant d’arrêter, tant c’était physique.
L’un des moniteurs m’a alors encouragé: «Allez Vincent, encore 40 secondes! Tu vas y arriver!» J’ai repris et j’y suis parvenu. Ils m’ont félicité en me tendant la main. J’avoue que j’étais fier d’avoir un peu porté les couleurs de la France…
SC. Une France qui réclame votre extradition.
VR. Non; ça, c’est le gouvernement temporaire du pays. La France, à mes yeux, c’est autre chose: c’est un héritage matériel et spirituel légué par des siècles et des siècles de sacrifices. Ce sont des générations que je représentais hier, et cela même si, aujourd’hui, leurs descendants en sont indignes, allant jusqu’à réélire Emmanuel Macron.
De façon générale, mon Europe, c’est celle de l’Autrichien Adolf Hitler, du Belge Léon Degrelle, du Français Jacques Doriot, du Britannique John Amery… Physiquement, elle est morte; mais spirituellement, elle est toujours vivante.
De 1941 à 1945, elle a eu besoin de soldats armés de fusils; depuis lors, elle a besoin de combattants armés de stylos: j’en fais partie. Pour moi, c’est un honneur et une joie. Cette joie et cet honneur, je les vis même en prison en l’acceptant comme une permission que la Providence m’accorde. Je l’en remercie, et parce que je l’en remercie, Elle me rend la vie plus douce, agréable même, au sein d’un univers qui généralement effraye.
SC. Il est vrai qu’à vous écouter, la prison n’a jamais été un enfer. Il y a treize ans déjà, à Valenciennes, vous la décriviez sous un jour sympathique.
VR. Je le redis, car c’est essentiel: la réalité émane de notre perception des événements. Si nous portons un regard sombre, notre réalité sera sombre; si nous portons un regard lumineux, notre réalité s’éclaircira.
Je souhaite que mon expérience serve aux militants présents et futurs: gardez toujours un esprit positif et joyeux, sans peur de la prison.
La première force, la plus importante, réside dans la confiance en la Providence et dans le détachement. Quand vous vous y fixez, non seulement, la force vous habite, mais d’agréables surprises vous attendent aussi.
Je n’entrerais pas dans les détails, mais à l’heure qu’il est, j’ai devant moi la photographie de l’une de mes filles que je n’ai pas vue depuis des années (je ne l’ai d’ailleurs pas reconnue). Je ne pensais plus jamais avoir le moindre contact… et pourtant!
Par conséquent, confiance et courage; la noblesse de la cause en vaut la peine, et le combat ne vous apportera pas que des souffrances, bien au contraire.