Au sein des milieux nationalistes, certains voient en Vladimir Poutine le sauveur de l’Europe, tandis que d’autres le considèrent comme le plus dangereux ennemi de l’Occident. Dans cet article, Vincent Reynouard explique pourquoi il considère cette querelle inutile.
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Le lectorat de Rivarol se déchire à propos de Vladimir Poutine. À mon avis, ces disputes sont inutiles. J’en connais bien peu quant au président russe, à son régime et à la situation en Russie, mais j’en suis sûr: si rien ne change, ni Poutine ni personne ne sauvera l’Europe. Ma conviction se fonde sur les leçons de l’Histoire que j’ai étudiée.
Le salut de l’Europe offert aux Français sur un plateau d’argent
À partir de 1940, suite à l’entretien de Montoire, des Français et des Allemands pressentirent qu’une victoire militaire du Reich avec la collaboration de la France permettrait de sauver le Vieux Continent en construisant une Europe nouvelle.
Le 29 mars 1941, dans une étude très développée intitulée: « Construire avec l’Allemagne la nouvelle Europe », le Dr Karl Heinz Gerstner, de l’Institut allemand, expliqua:
Organiser la production européenne d’après un grand plan, la faire travailler le plus rationnellement pour les besoins des peuples européens, telle est la grande tâche des années à venir. Ce plan de production s’étendra à tous les domaines, aussi bien à celui de l’industrie qu’à celui de l’agriculture, qu’aux domaines de l’énergie et des transports.
Les préparatifs sont, malgré la guerre, en plein essor. Les délégations économiques allemandes se rendent à Paris pour entrer en pourparlers avec leurs collègues français des différentes branches de l’industrie et y discuter leurs intérêts communs.
La presse nous informe tous les jours de ces pourparlers et de leurs résultats positifs. Des pourparlers semblables ont lieu avec les pays balkaniques, l’Italie et l’Espagne. Plus tôt la guerre finira, plus vite la réalisation de ces plans se fera1.
Dans son message du 11 juin 1941 aux Français, l’amiral Darlan déclara:
La troisième tâche du Gouvernement est de préparer l’avenir de la France dans la nouvelle Europe […]
La nouvelle Europe ne vivra pas sans la France, placée au rang que son passé, sa civilisation et sa culture lui donnent le droit d’occuper dans la hiérarchie européenne. Français, ayez le courage de dominer votre défaite. Soyez assurés que l’avenir du pays est intimement lié à celui de l’Europe.
Si, pour vous engager dans la voie où le Maréchal et son gouvernement vous invitent à les suivre, il vous faut vaincre des illusions et consentir des sacrifices, puisez votre force dans la certitude que cette voie est, pour notre Patrie, la voie unique du salut2.
Fin novembre 1941, s’exprimant à Bruxelles, un Allemand ardent défense de la réconciliation des peuples, le professeur Grimm, expliqua:
Hitler construira un nouvel ordre européen, cette nouvelle Europe continentale qui s’opposera à la ploutocratie anglaise et au bolchevisme, basés tous deux sur la juiverie internationale. L’Angleterre et le bolchevisme sont définitivement exclus.
Tous les pays et tous les peuples occuperont la place qui leur revient dans la nouvelle Europe, ils seront les membres de la grande famille européenne3.
Je pourrais multiplier les citations de ce genre et les initiatives qui les accompagnaient. Oui, vraiment, en marge de la guerre, une nouvelle Europe naissait, dans laquelle primerait le Bien commun.
Une alternative au communisme et au libéralisme
Pour ces apôtres de la nouvelle Europe, bolchevisme et libéralisme anglo-saxon représentaient deux dangers mortels. Il n’y avait donc pas à prendre parti pour l’un contre l’autre. En mai 1941, un organe profasciste rappela que depuis des lustres:
La civilisation européenne, quoique millénaire, était en grand danger. Elle était menacée dans ses bases par l’invasion de l’américanisme. Elle était suffoquée, au point de vue politique et économique, par l’hégémonie anglaise. La France, entre temps, avait perdu sensiblement sa puissance organique de résistance.
L’américanisme avait déjà commencé à rendre barbare le goût des Européens, à démolir les traditions, à déformer la femme, à faire écrouler l’édifice de la famille, à insinuer l’esprit judaïque (esprit critique et antinational) dans la presse, à empoisonner les sources musicales de l’Europe, à modifier les sources poétiques, à brutaliser la littérature et avait pénétré en profondeur, grâce au cinéma, dans l’esprit et dans la mentalité des jeunes générations.
L’architecture, l’amour, la science, sous prétexte de modernisme, étaient en train de s’américaniser, c’est-à-dire de cesser d’être européens. Le travail de jour en jour se transformait dangereusement dans une espèce de taylorisme […] Tous les essais européens pour échapper à cette américanisation se brisaient contre la volonté brutale d’hégémonie de l’Angleterre qui trouvait dans la décadence de l’Europe sa sécurité militaire, une source perpétuelle et abondante d’intérêts financiers et une facile primauté politique.
Le continent était donc frappé dans ses bases. Le visage de l’Europe avait commencé à se modifier, la vieillesse incurable de l’Europe était devenue l’un des lieux communs de l’américanisme. L’Angleterre, à travers l’organisation de ses dominions, s’était détachée historiquement de la vie de l’Europe et était devenue le centre de l’Empire qui n’était plus européen et qui était substantiellement antieuropéen4.
S’y ajoutaient les avertissements très clairs donnés au peuple. En matière de démographie par exemple, depuis longtemps, la France se dépeuplait. Début juin 1942, un quotidien prévint que si le phénomène se poursuivait:
Les places manquantes, les vides creusés ainsi dans la population française seraient obligatoirement comblés par des immigrants et la France […] se dénationaliserait. C’est d’ailleurs bien en partie ce qui a commencé à se produire dans les années qui ont précédé la guerre5.
L’apathie d’un peuple hédoniste
Mais ces avertissements furent impuissants à réveiller les masses. Fin novembre 1942, un commentateur se désola:
La France reste amorphe. Rares sont les hommes qui lui parlent le langage viril propre à la réveiller […] Les révolutionnaires décidés reçoivent peu d’encouragements, bien heureux quand ils ne sont pas découragés6.
Pourquoi cette apathie? Parce que dans son immense majorité, le peuple était resté fidèle à ses convictions d’avant-guerre. Aussi refusait-il cette Révolution nationale prônée par le maréchal Pétain. Dès novembre 1940, un simple Français lança: « Oui, on est dégoûté d’être Français. On est dégoûté du peuple amorphe. On est dégoûté du climat réactionnaire7. »
Le 25 juillet 1942, un maréchaliste nota:
Je connais […] bien des Français qui admettent la Révolution à condition qu’elle ne trouble pas leurs habitudes, leurs mauvaises habitudes d’avant-guerre…8.
Quelques mois plus tard, un prisonnier rentré en France se désola:
la Révolution n’existe ici que dans les mots, je retrouve la France plus misérable qu’avant, plus abaissée, plus encroûtée dans les mœurs déplorables qui l’ont perdue9.
Ayant fait part de son désarroi à un journaliste, celui-ci lui expliqua:
Rien n’est changé, en effet, parce que ce sont les Français eux-mêmes qui ne l’ont pas voulu. Ils tiennent à leurs maux, à leurs erreurs, à leurs vices comme à de vieilles habitudes. Ils préfèrent mourir plutôt que de renoncer à leur démocratie, au bulletin de vote, à l’alcool, aux Juifs, aux parlementaires, aux maçons, au fonctionnarisme rongeur, à tout ce qui les a fait descendre où ils sont descendus.
La Révolution? Une bousculade de leurs aises, de leurs manies, de leurs positions acquises? Pensez donc! Ils ne sont pas fous! Ils n’ont pas joui tout leur soûl, et les favorisés ne partageront pas avec le peuple travailleur ce que le hasard des naissances ou le résultat de spéculations éhontées leur a rapporté.
Ils comptent profiter encore, et c’est bien pour cela qu’ils ne veulent entendre parler ni de révolution ni de national-socialisme. Alors, vive l’Amérique ou l’Angleterre, n’est-ce pas?10
Ce constat s’appliquait à bien d’autres pays, parce que, dans leur grande majorité, les peuples européens refusaient l’édification d’une nouvelle Europe fondée sur la primauté du Bien commun, le Travail, la Famille et la Patrie, alors la Providence favorisa les Alliés. Cependant, cette victoire sonnait le glas de l’Europe, et en premier lieu celle de la France.
En octobre 1947, l’ancien ministre et Vice-Président du parti radical-socialiste, René Besnard, se lamenta:
Il est naïf, en ce temps de perpétuel loisir, de donner à des hommes incapables de les comprendre, des conseils de morale civique. Nos gouvernants ne cessent de dire que la France se sauvera elle-même, ce qui est d’un bon naturel patriotique, mais les Français ne veulent pas se sauver, car ils ne veulent plus travailler11.
Rien n’a changé
Trois quarts de siècle plus tard, la situation a empiré. Dans les années 80 et 90, la Providence a donné aux Français Jean-Marie Le Pen. Le 5 mai 2002, ils lui ont préféré Jacques Chirac en arguant: « Plutôt escroc que facho ».
Aujourd’hui, le Front national s’est transformé en Rassemblement national dont on connaît la servilité. Pourquoi en serait-il autrement? La Providence ne jette pas des perles aux pourceaux; elle offre aux peuples ce qu’ils méritent.
Tant que les Européens voudront mourir, aucun homme providentiel ne surgira pour les sauver. Plutôt, donc, que de nous disputer sur Poutine, œuvrons pour nous bonifier et insuffler à nos concitoyens l’élan vital. Le salut viendra d’abord de nous-mêmes. Lorsque les peuples se seront réveillés, alors un sauveur se lèvera, d’où qu’il vienne.
- Karl Heinz Gerstner, « Construire avec l’Allemagne la nouvelle Europe », Le Fait, 29.III.1941, p. 6. ↩︎
- François Darlan, « “Seconder le gouvernement dans sa très lourde tâche” », La Dépêche du Berry, 12.VI.1941, p. 1. ↩︎
- « “Le nouvel ordre européen ne connaîtra plus de haine” déclare à Bruxelles le professeur Grimm », La Gazette, le grand quotidien basque, 24.XI.1941, p. 3. ↩︎
- Mario Appelius, « Le pacte d’acier », La Nouvelle Italie (La Nuova Italia), 29.V.1941, p. 6. ↩︎
- G.-S. Savigny, « Le problème démographique », Le Progrès de la Somme, 7.VI.1942, p. 1. ↩︎
- Jean Lagarigue, « France, réveille-toi », Le Cri du peuple de Paris, 25.XI.1942, p. 1. ↩︎
- R. D., « On nous écrit », La France au travail, 6.XI.1940, p. 2. ↩︎
- Jean Lagarigue, « Les défaitistes de la révolution », Le Cri du peuple de Paris, 25.VII.1942, p. 1. ↩︎
- Courrier d’un prisonnier bénéficiaire de la Relève, cité dans « Réponse à un prisonnier libéré » de Jean Bosc, Paris-Soir, 25.I.1943, p. 1. ↩︎
- Jean Bosc, « Réponse à un prisonnier libéré », Paris-Soir, 25.I.1943, p. 1. ↩︎
- René Besnard, « Commentaire sur un discours », L’Événement, 18.X.1947, p. 1. ↩︎