Le 2 octobre dernier, Camille Senon, une gardienne de la Mémoire d’Oradour, est décédée à l’âge de 100 ans.
Lors de mon procès à Limoges en 2003, l’ayant aperçue, avec ses amis, dans le hall du tribunal, je l’avais saluée. Sans réponse de sa part, j’avais lancé: “Vous pourriez tout de même me dire bonjour, nous sommes des êtres humains.” Elle avait secoué la tête pour manifester sa désapprobation. À ses yeux, je n’étais pas un être humain…
Deux sortes de témoins
Camille Senon figurait parmi les “témoins vedettes” du drame d’Oradour. Lors de mon enquête sur les lieux, j’avais en effet pu constater l’existence de deux sortes de témoins:
- Ceux dont les noms étaient connus, qui apparaissaient lors de commémorations et qui délivraient un message public: Marguerite Rouffanche, Camille Senon, Robert Hébras, Marcel Darthout…
- Les autres, qui observaient une discrétion assez surprenante comparée à la volubilité des premiers. J’en avais retrouvé plusieurs, dont deux qui m’ont beaucoup aidé: MM. Renaud et Tarnaud.
Lorsqu’en 1990, lors de ma première venue, je frappais chez certains de ces témoins discrets, la plupart manifestaient de la surprise: «Mais… comment m’avez-vous trouvé?»
Je leur expliquais qu’ayant étudié les articles parus dans la presse en janvier-février 1953 à l’occasion du procès des anciens Waffen SS d’Oradour, j’avais relevé les noms des rescapés venus déposer. Aidé d’un annuaire téléphonique de la région, j’avais ensuite retrouvé l’adresse de certains d’entre eux.
Certains refusèrent de me parler, mais d’autres le firent de bon cœur, comme s’ils étaient heureux de pouvoir s’ouvrir.
Monsieur Tarnaud
M. Tarnaud me révéla par exemple que les choses ne s’étaient pas passées comme le prétendait l’histoire officielle. Il lança:
Tout le monde, ici, sait pourquoi les SS sont venus. Mais personne n’osera vous le dire.
— Et vous, fis-je, accepterez-vous de me le dire?
— Je tiens à mourir tranquille, répondit-il. Lors du procès des SS, j’ai voulu dire la vérité. Les autres m’ont prévenu: «Si tu parles, on te jette dans la Garonne.» Je me suis donc contenté d’un témoignage sans importance.
Il me dit avoir consigné la vérité dans un petit cahier. «Je l’ai confié à ma petite-fille, en lui demandant de le publier après ma mort.»
L’année suivante, je suis revenu le voir. Il exigea de me parler en présence de son fils. J’acceptai. Voyant sa gêne, je lui dis : «M. Tarnaud, je vous poserai une question et nous vous embêterai plus. Ce 10 juin tragique, l’église a-t-elle violemment explosé?» Il réfléchit une dizaine de secondes qui me parurent une éternité, puis il souffla: «Oui.»
Monsieur Renaud
Je lui avais posé cette question parce que l’année précédente, j’avais également frappé à la porte d’Aimé Renaud, un autre rescapé.
Visiblement heureux de pouvoir parler, il m’avait emmené dans les ruines, plus précisément dans un jardin où, le 10 juin tragique, il s’était caché avec son épouse. L’église était à une cinquantaine de mètres de nous.
Il me dit : «Nous étions cachés là lorsque, soudainement, l’église a explosé. J’ai reçu l’onde choc en pleine face». Outre les constats matériels, c’est M. Renaud qui m’a définitivement mis sur la piste de l’explosion d’un dépôt clandestin de munitions aménagé sous les combles et dans le clocher.
Lorsque, en 2001, une enquête fut diligentée contre moi pour ma cassette vidéo intitulée (maladroitement): «Oradour: 50 ans de mensonges», interrogé, M. Renaud nia m’avoir rencontré. Je puis le comprendre, car ses révélations le mettaient en fâcheuse posture.
Malheureusement pour lui, la juge d’instruction avait fait saisir mes archives. Y figurait un cahier de brouillon rouge dans lequel j’avais consigné, jour après jour, les résultats de mon enquête.
Je dis à la juge: «Consultez ce cahier, et vous trouverez la mention de ma rencontre avec M. Renaud.» Si, vraiment, j’avais menti en inventant cette rencontre, mes adversaires auraient été trop heureux de le démontrer lors du procès qui, en 2003, me fut intenté. Mais M. Renaud ne fut pas convoqué comme témoin…
Rescapés écœurés
Une dizaine d’années plus tard, une femme me contacta, Mme Darchy. Elle me dit en substance:
Vos conclusions sur le drame d’Oradour sont exactes. Quand j’étais petite, je passais mes vacances à Oradour. Je jouais avec la fille des Renaud. C’était mon amie dans le village. Cette petite est morte le 10 juin tragique dans l’église. Les parents savent très bien ce qui s’est réellement passé. Ils sont écœurés par les mensonges de l’histoire officielle. Voilà pourquoi ils refusent d’apparaître aux commémorations et de parler au public.
M. Renaud est décédé. M. Tarnaud également. À ma connaissance, le petit cahier qui, m’a-t-il dit, renferme ses révélations n’a jamais été publié.
Malgré cela, la vérité est en marche. Et ce ne sont pas les treize millions d’euros alloués pour la modernisation du Centre de la Mémoire qui sauveront la thèse officielle. Forgé dans l’urgence en 1944, le mensonge est trop mal ficelé.
Un mensonge cautionné jusqu’au bout par Camille Senon. Paix à son âme.